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Ma conscience s'appelle Madame F.

Elle n'a ni visage, ni voix, ni regard mais elle sait tout de moi. 

Madame F n'existe pas. Elle est issue d'un caprice de mon esprit datant de mon enfance. Aussi loin que je puisse me souvenir j'ai tenu des journaux intimes, aussi beaux et amicaux qu'ils puissent-être, j'ai toujours refusé l'inévitable : "Cher journal." en début de page. M'adresser à un assemblage de feuilles pourvu d'une couverture m'a toujours paru étrange et si la seule personne à laquelle vous pouvez vous confier n'a rien de vivant, vous avez selon moi atteint un niveau de solitude assez catastrophique. 

Seulement, vous pouvez être entourés de dizaines de personnes géniales et vous sentir terriblement seuls si votre tempérament solitaire vous rattrape, si vous être incompris, introvertis où que sais-je d'autre qui vous empêche de communiquer librement. C'est comme ça que j'ai créé Madame F. 
J'ai toujours écrit en utilisant un "Tu" amical, sans savoir exactement à qui je parlais. C'est une femme j'en suis sûre car un homme aurait été trop différent et il me plaît d'imaginer que Madame F me ressemble un peu. Malheureusement, c'est ma seule certitude. Des formulations familières envahissent mes pages : "Tu sais", "Crois-tu que?" ... Et Madame F ne me répond jamais. Elle est un peu psychologue, c'est à cela qu'elle me fait le plus penser, puisque je pose des questions auxquelles elle me force à trouver seule des réponses. Je hais les psychologues et leurs regards vides, ils m'inspirent l'hypocrisie, le mensonge et l'inutilité. Mais je ne peux pas haïr Madame F, elle n'existe pas. Elle n'est pas psychologue, pas mon amie, mais elle peut tout entendre en se passant de commentaires désobligeants, elle ne juge rien ni personne. Elle est simplement le "Tu" de "Si tu savais".

Madame X, c'était trop classique, il n'était pas question de lui donner un prénom puisque cela lui aurait assigné un peu plus qu'une identité. Enfant, j'avais un puzzle en bois avec les lettres de l'alphabet, la lettre F était rose et bleue, je la trouvais jolie. D'où Madame F. C'est ridicule, mais le ridicule ne tue pas après tout, je peux bien vous confier ça.
Ça peut sembler étrange mais nous avons chacun nos manies, nos névroses et nos petits trucs débiles pour nous sentir bien. Enfant, j'avais un tas d'amis imaginaires et je les aimais beaucoup, maintenant j'ai Madame F et depuis l'enfance, je suis déçue de savoir qu'elle est irréelle puisque je l'ai créée comme une petite perfection. Plus de dix ans plus tard, je n'arrive pas à me défaire de ce drôle de personnage auquel j'ai pris l'habitude d'écrire. Ces journaux intimes que j'appelle maintenant "carnets de réflexions" comportent, toujours sous la même forme que mes histoires d'enfant, des textes adressés à ce "Tu" sourd et muet auquel j'aimerais parfois donner une voix.

A plusieurs reprises j'ai tenté de lui dessiner un visage qui n'a jamais pris forme, je retrouvais dans ces tentatives des traits familiers et cela ne me plaisait pas. Je n'ai pas envie d'imaginer que Madame F soit quelqu'un que je connais, ça serait étrange et embarrassant de lui donner capacité à commenter et à produire un avis sur mes propos.  
En 10 ans de confidences à cette inconnue, j'ai rencontré quatre personnes qui ressemblaient à cet idéal imaginaire, non pas sur le plan physique mais plutôt dans la douceur, la tranquillité et le calme que j'assigne à Madame F. J'ai été troublée à chaque fois par tant de spontanéité et de calme. J'en déduis donc que Madame F, si elle existait garderait toujours la mesure et le juste milieu. Elle est plutôt brune que blonde, plutôt petite que grande, plutôt silencieuse que loquace. Pour le reste, je n'en saurai jamais plus. 
C'est peut-être ma conscience, peut-être une autre facette de moi, la réponse timide à ma fausse extravagance ou encore une pièce manquante au puzzle de mon existence. Dans tous les cas, je reste persuadée qu'on a tous notre Madame F, la petite voix qu'on sollicite quand deux chemins se tracent et que l'on ne sait pas lequel emprunter. 

"Si tu savais comme t'es chiante, comme c'est difficile d'écrire sur toi quand on a passé des heures à t'écrire sans ne jamais révéler ton existence." Carnet 16.

Photo de Hanna Seweryn : "Une femme dans l'ombre" Du site : http://www.chambre237.com/

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