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Les chrysanthèmes de 2020


    A toutes et tous, pardonnez moi par avance, ce billet n'est pas gai. Il est placé sous le signe du deuil, fait de mots difficiles à sortir, quelque peu thérapeutiques pour moi. Les récits qui suivent touchent à la mort, au suicide et au deuil. J'en déconseille la lecture si le sujet est sensible.

Ceci fait office d'hommage à celle et ceux qui m'ont quittée en cette année difficile. Ces mots sont pour moi je l'espère, une manière de tourner la page.  Surtout, ces mots sont pour elleux


    Ces mots sont pour Guillaume ...

   Le fils de ma belle-mère, dont on m'a annoncé le décès en février. C'est un texto de mon père désemparé qui me réveille : "Ma chérie, Guillaume est dcd. Il a mis fin à ses jours". D'un seul coup tout est trouble, suspendu, les jambes tremblent. La lampe de chevet dont on ne trouve pas l'interrupteur, se retrouve au sol, le souffle s'accélère, on relit le texto. On pleure un peu ... On fait face aux questions : pourquoi ? Comment ? Que s'est-il passé ? On savait que ça pouvait arriver, et on était là pour lui, alors pourquoi maintenant ? 

Guillaume était un fanfaron. Amuse galerie, beau garçon, intrépide, impulsif, fêtard, souriant. Il était de ces hommes qui, restés adolescents et légers, avaient su se faire une vie de mille pièces sous le signe de l'instant présent. Il était ancien parachutiste, il était cuisinier de métier, il était aimé de tout le monde, avait des tas d'amis et plaisait tant aux femmes. Un soleil en apparence mais qui peut savoir ce qui se passe dans la tête des gens ?  Il a été pour moi un ami plus qu'un membre de cette famille recomposée. Le type qui m'a donné mon premier petit boulot à 16 ans, le mec théâtral un peu décalé qui faisait que dans cette famille recomposée je n'étais plus la seule rebelle, le gars qui m'offrait des cigarettes en cachette de mon père vers 14 ans, le mec qui finissait debout sur la table à chaque repas de famille pour entonner les lacs du connemara, le co-pilote au vin rouge dans les barbecues d'été avec lequel je finissais bourrée et morte de rire. Ce mec là, c'était Guillaume. Celui pour lequel j'aurai toujours une pensée émue en chantonnant ces airs populaires de quatre heures du matin, en débouchant une bouteille de vin en criant "Opaaaaaa", en me promenant du côté de la vallée de la Meuse, son havre de paix et son territoire de chasse, où fleurit désormais un jardin pour que personne ne l'oublie. 

Pourtant c'était aux yeux de tous, Guillaume était instable, beaucoup trop de filles, beaucoup trop d'alcool, beaucoup trop de bagarres, mais un garçon si gentil ... Celui qu'on appelait Toto depuis tout petit, trublion tout mignon au milieu d'une fratrie de quatre. Cet éternel petit garçon prisonnier d'une blessure d'enfance qui ne s'était jamais refermée et qui a fini, cette année, par lui coûter la vie. Et les réunions de famille n'ont plus le même goût. Quelle issue pour nous, ceux qui restent, les parents, les grands parents, les frères et belles-sœurs, les neveux et nièces, les amis ? Nous qui l'avons tant aimé sommes comme perdus au milieu d'émotions si contradictoires. Aurait-il fallu faire, ou dire quelque chose qui puisse lui sauver la vie, le faire changer d'avis, apaiser sa souffrance ...   Nous garderons de lui son sourire, sa bonne humeur, son sens de l'amitié et de la famille, sa générosité sans faille et même ses colères. 

"Je me souviens d'un arbre, je me souviens du vent. De ces lumières de vagues au bout de l'océan. [...] Je me souviens d'un rêve, je me souviens d'un roi, d'un été qui s'achève, d'une maison de bois. Je me souviens du ciel, je me souviens de l'eau. D'une robe en dentelle déchirée dans le dos. Ce n'est pas du sang, qui coule dans nos veines. C'est la rivière de notre enfance ..."

[M. Sardou, Garou]



    Ces mots sont pour Stanislas ... 

    Mon si cher ami, rencontré dès les premiers jours à l'université dans un amphithéâtre, dans l'inconnu, celui qui m'a souri le premier et m'a tout de suite raconté sa vie. Stanislas était entier, sincère, précieux. Tout de suite il m'a plu, tout de suite nous sommes devenus amis. Lui aussi, après que j'ai eu la chance immense de l'avoir à mes côtés pendant cinq ans, a décidé d'en finir nous laissant une peine immense et des souvenirs plein le cœur. 

Stanislas était brillant, de ces garçons passionnés, déterminés et intelligents qu'on écoutait parler pour rire et pour apprendre. Passionné de généalogie, grand lecteur, immensément cultivé. Ce p'tit mec qui lisait Chateaubriand au petit déjeuner et qui acceptait de donner à la moitié de la promotion deux ou trois heures de cours le mercredi après midi pour qu'on puisse tenter d'égaler ses résultats en histoire contemporaine ... Ceux qui savent savent ... J'admirais Stanislas. Nous n'étions d'accord sur rien, de conflits d'idées en conflits d'égos nous arrivions toujours au consensus : un câlin amical qui envoyait valser les débats houleux sur la politique ou la bourgeoisie, qui voulait dire qu'on s'aimait. Un point c'est tout. J'ai toujours dit : "Mon petit Prince". Celui de Saint Exupéry, égal à lui même en toutes circonstances, et ne renonçant jamais à une question une fois qu'il l'avait posée. Un garçon très soigné, toujours très bien habillé de sweats de marque qui sentent la lessive, qui ne marchait pas dans l'herbe pour ne pas salir ses chaussures, m'a refusé moult fois une partie d'accrobranche ou une soirée camping, trop inconfortable. Précieux tant par la toilette que par la gentillesse, la bienveillance, l'élégance de son langage entrecoupé de blagues potaches : "Santé, mais pas des pieds !". C'était ça, Stanou, sa brillante intelligence, sa gentillesse, son amitié si sincère : il n'aimait pas à moitié, n'avait pas peur de vous le dire, et vous envoyait des cartes postales indéchiffrables qu'il signait : "Je t'aime et j'ai hâte de te revoir" chaque été. C'était ça, c'était lui. 

Cet été, pas de cartes postales. On savait pourquoi. Après une année universitaire difficile il nous avait fait part de sa souffrance, et de son honnêteté sans faille avait posé ce mot : dépression. Sale maladie qui a fini par l'emporter lui aussi, si jeune, après trois années de lutte. Nous garderons de lui et de nos merveilleuses années de licence des souvenirs en bataille et des pensées émues. Ce que nous savons, c'est qu'il nous aimait, qu'il aimait les gens et que nous l'aimons, pour toujours, pour longtemps ... 

"Aimer, c'est bien. Savoir aimer, c'est tout." [François-René de Chateaubriand.]




    Ces mots sont pour Céline ... 

    Que dire de Céline, dont on m'a annoncé le décès brutal en cette fin 2020, le 26 décembre au matin. Putain d'année, putain d'année qui s'achève après avoir emporté Céline, vraisemblablement d'un arrêt cardiaque sans que personne ne s'y attende. Céline et ses yeux bruns, ses longs cheveux noirs, son sourire, Céline au cœur assez grand pour aimer l'humanité toute entière, laisse derrière elle trois merveilleux enfants et un mari éploré. Elle aura vécu, dans l'amour et dans la joie, durant 39 années ou elle aura marqué les esprits et les cœurs, tout particulièrement le mien lorsque j'étais adolescente. 

      Elle était la fille de l'épouse de mon grand père. Nous nous croisions souvent dans mon enfance, lorsque nous nous retrouvions dans l'Oise où mon grand père et sa mère vivaient. Des grandes tablées pour les repas, des barbecues d'été, des vacances sous le signe de la joie et de l'amour. Tous s'accordent à le dire, Céline était un soleil et en parler au passé brise les cœurs. Elle avait un cœur pour les autres, l'oreille attentive, la réflexion pertinente, le sourire large et franc, un sens de la famille, de l'amitié et de la générosité sans failles. Où est la justice ? 

    Au fil des années et des déménagements successifs de nos familles, nous passions régulièrement nos étés ensemble : un petit village de l'Oise où l'on travaillait à la ferme, quelques petites escapades chez elle dans le Val d'Oise, des parties d'accrobranche, de cartes à jouer, des après midi cuisine, une villa dans le sud et des parties de volleyball dans la piscine, des cabanes dans les arbres, des promenades en forêt, en voiture, sur les marchés nocturnes, des feux d'artifice ... Le tout sur fond des premiers albums de Sniper chantés à tue tête dans la clio... Boute-en-train, toujours partante, cuisinière hors-pair, fichtrement drôle, les vacances étaient toujours plus sympas quand Céline était là ...

    Nous nous connaissions depuis toujours, mais je l'ai véritablement rencontrée en juillet 2010 lorsqu'elle m'a tendu la main et a réussi en trois semaines à presque réparer mon cœur d'enfant brisé par l'éclatement de ma famille. A la Céline qui m'a dit : "Laisse sortir ta colère et abandonne-la sur le chemin, ne regarde pas en arrière, ne te focalise pas sur ce que tu n'as plus. Chaque jour remercie Dieu pour ce que tu as et sois bonne avec les autres, la vie te le rendra". Et c'est ce que j'ai retenu d'elle, cette âme si douce, ce tempérament si calme et si généreux. La première adulte qui m'a tendu la main, ouvert les portes de sa maison, laissé entrer dans le cocon de sa famille et dans ses rituels rythmés de rires et de prières aux accents doux. Je me souviens avec tendresse de ces prières répétées à l'unisson par les enfants, qui résonnaient en moi comme des mots d'amour, de soutien et de paix : "ašhadu ʾan lâ ʾillâha ʾillâ -llâh, wa-ʾašhadu ʾanna Muḥammadan rasûlu-llâh" et qui des années plus tard me renvoient toujours ces quelques notes de paix. Si nous ne partagions pas les mêmes croyances, ces temps de prière n'en étaient pas moins des temps de calme que j'aimais partager avec elle les soirs d'été ... Cet été là, elle a calmé mes peines, elle est entrée dans mon cœur et n'en est plus jamais sortie. Céline et sa leçon, de tolérance, de bienveillance, de calme et de gratitude ... Depuis cet été là, chaque jour avec une pensée pour elle, j'essaie d'égaler sa bienveillance et sa justesse à tous égards, en pensant souvent "elle serait fière de moi". 

    Je ne sais dire ma peine d'avoir passé ces trois dernières années loin d'elle, sans avoir entendu une seule fois le son de sa voix, parce que nos vies ont pris des chemins différents et que l'occasion ne s'est plus présentée. Pourtant chaque jour, comme depuis dix ans, j'ai pensé à elle qui avait autrefois une si grande place. 

    Aujourd'hui quelques mots, en hommage et avec tant de gratitude. Parce qu'il n'y a pas grand de monde que j'estime autant qu'elle et que son sourire restera fixé dans ma mémoire. Parce que j'ai senti mon cœur s'abîmer et qu'il est fragile depuis ce 26 décembre, que jamais personne ne m'avait à ce point manqué et que ce manque sera désormais permanent. Mais parce que je me sens solide, que je sais qu'elle n'avait pas peur de la mort et qu'elle croyait aux cieux. Allah y rahma, qu'il l'accepte dans son paradis. 

"Pourquoi j'entends l'alarme qui sonne
C'est trop souvent que j'me questionne
Mais dites-moi pourquoi un jour ou l'autre on doit mourir
Pourquoi pleurer pourquoi sourire"
[Sniper]




    A la suite de ces hommages très personnels, je voudrais aussi adresser toutes mes pensées aux victimes de la pandémie de Covid-19 ainsi qu'à leurs familles, que la force et le courage de surmonter ces douloureuses pertes soient dans vos cœurs. Que 2021 soit faite de glaïeuls flamboyants, d'œillets colorés et de roses voluptueuses ... Que vous puissiez laisser les chrysanthèmes à 2020 ...

                                          






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