En espérant trouver des points de vue similaires au mien.
Les dernières années au village ...
Le soleil se levait à peine quand je sortais de la maison en briques rouges, douze marches puis un chemin de graviers me séparaient du bout de la rue, soit une minute de marche. C'est au bout de cette minute que je consentais enfin à allumer une cigarette puisque j'étais assez loin de la maison pour ne pas me faire surprendre par maman encore assise devant son café. L'avenue Voltaire où j'avançais quelques minutes sur un véritable parcours des souvenirs me semblait interminable, passant devant l'école primaire et ses arbres sans feuilles, longeant le muret en pierres, la salle des fêtes et la mairie aux volets bleus, j'arrivais enfin sur la place de la République et jetais mon mégot dans la poubelle qui fait l'angle juste avant de passer devant le bureau de tabac. Toujours en avance, j'attendais le bus sous le kiosque aux piliers rouillés et aux vitres manquantes. Ce kiosque, de plus en plus laid avec le temps qui passe, est une institution au village. Au printemps, je haïssais ce kiosque. Des toiles d'araignées luisantes de rosée y siégeaient parfois pendant plusieurs mois et les occupantes de ses toiles m'auraient fait faire des crises de panique. Quand il pleuvait, je préférais attendre sous la pluie plutôt que de risquer une proximité de moins de deux mètres avec ces petites bêtes répugnantes. Près de ce kiosque, à 6h45, je rejoignais mes amis auxquels je ne parlais pas, il était trop tôt. Je préférais observer le village qui s'éveillait doucement, tous les jours de la même manière : Monsieur H dans son 4x4 blanc se gare devant la boulangerie du pont, en sort avec son petit déjeuner et son repas de midi, il part travailler et reviendra vers 19h. Un taxi passe devant nous et c'est papa qui le conduit, il va chercher Madame F et l'emmène à son rendez vous kiné du matin.
Le bus arrive, le chauffeur ne nous salue pas et (comme d'habitude) ne réponds pas non plus à nos "bonjour!" timides. Avant dernier Rang, place de droite côté fenêtre, je m'assois, branche mes écouteurs, colle ma tête contre la vitre et observe le paysage vert et plat entre chaque village desservi par l'autocar. 40 minutes plus tard nous arrivons à Charleville Mézières, c'est parti pour une journée Lycée comme toutes les autres. A la fin de la journée, retour en bus, remonter l'avenue Voltaire, tourner dans les graviers de la petite rue De La Roche, rentrer à la maison : "Bonjour maman, qu'est ce qu'on mange ? Oui j'ai passé une bonne journée, non je n'ai pas eu de notes, je vais à la douche."
Et chaque jour, c'était comme ça. Le samedi, c'était sortie à 14h, ballades dans les bois. Je ne pouvais plus compter le nombre d'heures passées avec mes amis assis sur les bancs de notre enfance. On contemplait les gens qui passaient, et puisque tout le monde se connait dans un village, c'était déballage de potins : "Monsieur Machin et Madame Machin divorcent, IL a couché avec Madame Truc pendant le mariage de sa soeur ! Mais si ! Madame Bidule, la blonde qui habite au dessus de chez Tartempion ! D'ailleurs, en parlant de Tartempion, Tartempionne est ENCORE enceinte !!! ... Bla bla bla .". Enfin, vous voyez, je peux continuer pendant des heures, 18 ans de pratique, une vraie professionnelle en commérages villageois !
Le dimanche était souvent plus calme puisqu'il avait lieu autour d'une table familiale. Vous la connaissez cette table. C'est celle sur laquelle il ne faut pas poser les coudes (De toute façon, il y a tellement de nourriture dessus qu'il n'y a pas de place pour les coudes.), c'est aussi celle autour de laquelle votre avis ne compte pas si tu vous n'avez pas plus de 40 ans. Le pire, c'est quand vient l'heure du débat politique dans lequel il vaut mieux avoir me même point de vue que le patriarche de la famille si vous ne voulez pas prendre un morceau de galette à la rhubarbe dans la figure.
Et les semaines s'enchaînaient, se ressemblaient. On n'était pas des gosses de ville (qu'on assimilait souvent aux "gosses de riches", ce qui, en passant, ne veut rien dire.), on ne faisait pas le tour du monde, on n'avait jamais mis les pieds au théâtre ni à l'opéra. Mais on était heureux.
Puis pour des raisons diverses et variées, le village finit par devenir trop exclusif. Vous devez faire des choix en sortant du Lycée. Et pour un Enfant du Village, l'obtention d'un diplôme type Baccalauréat sous entend une possibilité d'évasion. Mais lorsque vous n'avez rien connu d'autre que cette mini-ville d'à peine 3000 habitants, composée de 7 kilomètres de rues, entourée par un bois et traversé par une petite rivière ; le départ est rude.
Septembre 2016 ...
Reims, ville de ma nouvelle indépendance, entrée à la fac et sortie imminente d'une adolescence trop longue. Ici, les gens se croisent dans la rue sans se faire signe de la tête, le chauffeur du tramway ne nous laisse même pas le loisir de le saluer et de prendre des paris sur "Va-t'il nous répondre aujourd'hui ?", puisqu'il est enfermé dans une petite cabine. L'enfant du village rentre chez lui, ne demande plus à maman ce qu'elle a préparé à manger, cependant il se lasse vite des pâtes et essaie de cuisiner. premières tentatives désastreuses. Quitter le cocon familial, c'est aussi renoncer au bisou du soir pour dire bonne nuit, à la place, il faut s'occuper du linge, de la vaisselle, travailler ses cours, comprendre comment on doit faire quand 5 bus passent en même temps au même arrêt. Ici, pas de kiosque aux araignées, pas d'amis aux mines encore endormies. Beaucoup plus de monde, beaucoup plus de bruit mais une solitude plus grande encore puisque nos repères ne sont plus là.
Premiers cours, nous entrons dans un amphithéâtre, la personne assise à côté de moi est une fille, elle essaie de sympathiser. je reconnais cet accent ! Une enfant de village ! Chouette alors, l'occasion pour l'Ardennaise paumée que je suis de sympathiser avec une p'tite gonzesse sortie tout droit des confins de la Haute Marne ! Nous avons échangé quelques mots de nos patois respectifs, un petit air d'antan rassurant flottait autour de moi. Au fil des rencontres, les chocs ont été de plus en plus violents. Ce garçon qui se présente à moi en me disant sans aucun complexe qu'il est homosexuel me fait beaucoup rire et je commence à comprendre qu'en dehors du village, nous sommes libres d'être qui l'on veut, le voisin n'est pas là pour vous juger où vous surveiller. J'ai donc sympathisé avec des personnes de tous milieux aux personnalités différentes. Une petite citadine coquette, un "petit prince" homo, une anarcho-communarde insurgée, un royaliste refoulé, une princesse intello... et j'en passe. Ici, tout le monde s'entend, tout le monde échange et ce ne sont pas des discours politiques où des clichés archaïques qui mettent les gens en désaccord. La FAC est devenue un lieu privilégié pour moi, puisque j'y ai trouvé tout ce dont j'avais besoin : Du respect, de l'information, des amis, de la tolérance. Cela peut paraître anodin, mais il faut se remettre en tête que dans un village comme le mien, il faut être : blanc, catholique, hétérosexuel, si possible de sexe masculin et voter à droite pour pouvoir côtoyer "du beau monde", c'est à dire des gens instruits. Le milieu universitaire est bien différent puisqu'il offre à chacun la possibilité de se forger en tant qu'adulte. L'étudiant, comme son nom l'indique, c'est d'abord celui qui étudie et tout le monde n'a pas cette chance. L'accès aux livres, rien que ça ... Dans mon village, la première bibliothèque est à 15 minutes en voiture, il n'y a pas de musées, pas de théâtres. Souvent, nos parents issus d'une classe moyenne préfèrent partir en vacances au mois d'août sur une plage de la côte d'Azur plutôt que de s'enfermer dans un musée une fois tous les 3 mois. Et au fond, on les comprend. Puisqu'ils n'ont pas forcément eu la chance d'étudier dans ce milieu universitaire et que par conséquent, personne ne leur a offert le goût des arts et de la culture.
A Reims, j'ai déchanté. Les premières semaines n'ont été remplies que de travaux universitaires puisque je ne voyais pas ce que je pouvais bien y faire d'autre. (J'ai été très rapide pour découvrir les soirées étudiantes en revanche. Mais c'est instinctif ça, c'est différent ^^.).
Puis j'ai peu à peu remplacé les ballades en forêt par les pique niques dans les parcs, moins agréables mais tout aussi amusants. J'ai découvert ce qu'était un musée car je ne connaissais que Grévin et Tussaud's. J'ai été subjuguée par mes premiers cours magistraux à l'université, j'ai même pensé que mes professeurs étaient des robots tant ils savaient de choses, tant ils avaient ce charisme que j'aimerais acquérir à mon tour. J'ai découvert qu'il existait quelque chose de plus intéressant au delà des frontières du village. Je me suis affirmée à travers des choses qui me collaient à la peau depuis de longues années mais que je n'arrivais pas à définir. L'université a posé des mots sur ces choses, a donné des réponses à mes questions. Par exemple, j'ai pris conscience qu'il y avait la réponse "Féminisme" à la question "Sexisme et misogynie", la réponse "Manifestation" à la question "Mais j'suis pas d'accord avec mon gouvernement" et surtout, SURTOUT, la réponse "Je deviens ce que je veux être" à l'affirmation "Il faut être comme ça.". C'est une belle victoire, une belle évolution.
Mais ce qui me blessera toujours, c'est de ne plus croiser Monsieur H le matin, ni notre bien aimée "folle du village" qui marche en parlant toute seule lorsque je rentre du lycée le soir. Je ne peux plus m'asseoir au pied de cet arbre pour écrire tranquillement, ici il y a du monde dans les parcs. Je ne peux plus faire ma ronde du dimanche : Chez mémère, chez tonton, cimetière, parc communal avec les copains. J'ai encore le réflexe de dire bonjour à chaque personne qui croise mon regard dans la rue, je ne supporte toujours pas le bain de foule du tramway de 7h20... J'en passe.
Je suis une incrustée en ville, j'aime ça. mais je suis toujours et plus que jamais une enfant du village.
♥♥♥
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