" A Manon, à Nathalie, à CrohnEmbourg.
Il fallait depuis longtemps que j'écrive ce billet, et le voilà enfin.
Le fruit de moult réflexions sur les gnocchis, c'est un peu pété comme thème inspirant.
Mais toujours en accord avec les péripéties estudiantines de deux presque soeurs,
dont la Brune voulait en dire quelques mots à la Blonde."
Tout commence avec un Gnocchi, un soir d'hiver dans une poêle anti-adhésive, au retour d'une première beuverie. Les Gnocchis sont importants, et vecteurs de questionnements divers. Lorsque la Brune les cuit un peu trop et dans du beurre, la Blonde les laisse gonfler à feux doux dans une poêle pleine de graisse de chipolata. La Brune les aime entiers dans la bouche, la Blonde les coupe en deux et les agrémente de lardons et de crème. Le désaccord Gnocchesque qui trouve finalement un point d'accord. Une phrase indiscutable résultante de quatre grammes dans chaque oeil : Les Gnocchis, ça prend de la place.
En effet, ça prend de la place. 56m2 très exactement. 56m2 pendant deux ans. Des assiettes vertes, des bouteilles d'eau en verre : une verte et une violette. Des plaids violets en pilou pilou, un tapis rouge et noir, un tiroir à bordel qui sent "bizarre" à l'ouverture, un panneau sur lequel il est grossièrement inscrit : "Pelouse Interdite."
La vie en colocation fut une expérience étrange, ludique et enrichissante. Je ne sais pas exactement à quel moment la Brune a commencé à considérer la Blonde - qui n'était qu'une amie - comme la soeur qu'elle n'a pas eue. Toujours est-il que, dans les débuts, ce fut une cohabitation toute en pudeur et en règles. Il y avait un protocole sérieux : La Brune s'occupait des poussières, du linge et des sols. La Blonde devait faire la vaisselle et les carreaux. Quelques mois passèrent et le protocole se fissura peu à peu.
Puis finalement, au diable les protocoles ! C'est celle qui rentre en premier qui range. Ou qui ne range pas. Dans tous les cas, le soir, on bouffe des gnocchis.
C'était une histoire de batailles dans lesquelles s'affrontaient les bouffeuses de gnocchis. Lorsque l'une voulait croire en l'amour transcendant, l'autre privilégiait la vision fataliste et pessimiste d'amours aux lendemains incertains et monotones. L'une était férue de boissons gazeuses, l'autre ne comprenait pas que l'on puisse boire à table autre chose que de l'eau. L'une rentrait " à la maison " et mangeait devant une série, chaussures aux pieds. L'autre, retirait ses pompes, non pas dans un souci de propreté mais dans une perspective de confort. Tout les opposait, en fait. Mais il faut croire que les opposés s'attirent. Complémentairement.
Les deux écrivent et lisent, avec passion. Les deux aiment la bonne bière et la bouffe grasse à base de pizzas et de tacos. Les deux aiment chantonner le début d'une mélodie et laisser l'autre la finir. Au fond, elles ne sont pas si différentes. L'une fait découvrir GiedRé à l'autre qui rétorque à coups "Ragga String Color". Et je crois que c'est à ce moment là qu'a disparu la pudeur. Quand l'une n'en eut plus rien à faire de chantonner "Dis moi quelle est la couleur de ton string" à tue tête, en slip dans la salle de bain et la porte ouverte. D'où cette impression d'une vie en sororité. Tantôt à deux, tantôt à plusieurs quand les copines venaient investir nos lits où le Château D'Ax en cuir blanc - Plus si blanc que ça - pour une nuit post-beuverie.
Il ne faut pas négliger l'aspect désagréable de la colocation. La Brune qui rageait contre la Blonde parce que son abominable mec passait trop de temps dans l'appartement, la Blonde qui réprimandait la Brune parce qu'elle ne remettait jamais un sac dans la poubelle après avoir sorti celui qui était plein. La Blonde qui râlait parce que la Brune partait avec les deux trousseaux de clés, laissant sa coloc' enfermée à l'intérieur. Les éternels débats sur la canette de Coca-Cola vide posée dans l'évier ... A un mètre de la poubelle. Mais toujours, le bonheur de rentrer à la maison et d'avoir quelqu'un à qui raconter sa,journée.
Le sens pratique, ce n'était pas leur truc. Plutôt que de prendre le temps de se parler avant d'aller dormir, elles se téléphonaient de temps en temps, par fainéantise de sortir de leurs lits, qu'un mur seulement séparait. Elles ne savaient jamais à quel moment elles allaient tomber en panne de papier toilettes ou de dentifrice. Saint Carrefour Market sauvait souvent leurs âmes.
En soi, l'expérience est fascinante. Sociologiquement, c'est étonnant. Les habitudes de vie si différentes de deux femmes du même âge ayant fréquenté les mêmes lieux depuis la naissance et ayant toujours vécu à moins de trois kilomètres l'une de l'autre. Ces habitudes de vie parfois drastiquement opposées qui se télescopent dans 56m2, et finissent par ne donner qu'un seul mode de vie absolument étrange, fait du mélange des habitudes. Il y a eu de longs débats entre elles, sur la manière dont elles avaient été éduquées, chacune dans leurs familles respectives. S'en suivait la compréhension presque immédiate des habitudes de l'une qui révulsait l'autre. Sans pour autant lui poser de problèmes. Aussi le mélange des valeurs et des points de vue. Je crois que l'une a beaucoup appris de l'autre, et l'autre beaucoup appris de l'une. Vivre avec quelqu'un qui les a fait changer, en quelque sorte. Celle qui tape en ce moment sans réfléchir sur son clavier pense à tout ce qu'a pu lui apporter ces deux ans de vie commune. Et commence à se dire "Ce billet a de la gueule, ça va plaire à la Blonde".
C'est surtout qu'elle voudrait lui dire à quel point cette amitié soudée, cette sororité construite de bric et de broc, lui tient à coeur. Parce qu'elle vit désormais seule depuis juillet et que même si cette vie lui convient parfaitement, parfois, quelque chose lui manque. La distance en amitié est chose compliquée. Surtout quand vous savez à quel point vous pouvez avoir mutuellement besoin de l'autre pour rire un peu quand tout est triste. L'amitié est un souffle nécessaire à tout le reste. Car tout le reste, comme les gnocchis, prend de la place.
Bisous mon chat, c'était pour toi. <3
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