Accéder au contenu principal

De ceux qui ré-ouvrent les plaies cicatrisées.

     Je me mets sur ce billet un peu tristounet et difficile à écrire. Parce que je crois qu'il a deux visées. La première, c'est d'exorciser de vieux souvenirs douloureux. La deuxième, c'est d'essayer de faire comprendre aux personnes qui se permettent de vous frapper de sarcasme ou de méchanceté que leurs paroles ont des conséquences. 

     J'ai été une gamine discrète jusqu'à l'adolescence. De celles qui ont peu de soucis sérieux, beaucoup de copains copines, de bons résultats et une famille attentive. Cela ne m'a jamais empêché d'être exposée aux dires des autres, à leurs regards, à leurs moqueries et autres jugements. Pourtant, je suis privilégiée : une meuf blanche, de classe moyenne, valide, assez sûre d'elle. 

     Enfant, j'étais toujours celle qui suivait les autres. Je ne suis pas une leadeuse, ne l'ai jamais été. J'étais assez peureuse. J'ai toujours eu peur des gens, comme beaucoup d'enfants qui souffrent d'hyperémotivité très jeunes. J'ai toujours eu du mal à me sentir à l'aise en société, à trouver ma place. Lorsque mes ami.e.s d'école partaient pour une glorieuse bêtise, j'étais celle qui suivait, qui riait à leurs conneries. Je me souviens encore du premier conflit qui m'a opposée à des ami.e.s. 
     Un garçon de ma classe de CE2, issu d'un milieu difficile, à l'hygiène douteuse et aux capacités scolaires limitées prend la parole pour lire un passage de texte à la demande du professeur. Il a du mal à s'exprimer, il éprouve des difficultés pour lier les phrases entre elles. Mon amie assise à ma gauche pouffe de rire, entraînant toute la classe avec elle. Le professeur, lui aussi esquisse un sourire. Le garçon se met à pleurer. A cet instant, je me rappelle du discours de mes parents, m'interdisant de me moquer de quiconque. Instinctivement, je reprend la lecture là ou il s'est arrêté et finit le morceau de texte pendant que la quasi totalité mes camarades se marre. 
     Ce n'était pas mon ami ce garçon, mais je me sentais mal de voir les autres se jouer de lui, le jeter aux lions. En sortant dans la cour d'école, mes amis me regardaient de travers et j'entendais raconter : "Camille, elle a aidé le puant." , "Camille elle aime le crasseux". Je me suis braquée, suis rentrée chez moi déconfite. Après avoir expliqué tout ça à m mère, elle répond : "Tu as eu raison, il ne faut jamais laisser personne se moquer des autres, ce n'est pas de sa faute à ce garçon.". 

     J'ai vécu comme ça, sur ce principe, essayant tant bien que mal d'expliquer ça à mes petits camarades. J'étais devenue la cible de beaucoup d'enfants. Raisonnaient dans mes oreilles et dans ma tête : "Intello", "Bonne Soeur", "Rapporteuse", "Fille à papa", "Mère Théresa". Ce n'était pas trop gênant, j'avais quelques bons amis. Par contre, je me suis effacée. Déjà à 9 ans. Par peur d'être exposée aux moqueries des autres. 

     Au collège, adolescente, je prends du poids. Je suis toujours sage et bien entourée, j'essaie de m'intégrer aux groupes les mieux vus par les autres, de gagner en popularité et en visibilité. Mais comme je ne me défends pas quand on m'ennuie, je suis une cible facile. 
- Dans le hall du collège : "T'as un gros cul", "T'es un boudin", "Cherche pas, ce mec ne voudra pas de toi t'es moche.", "Trouve d'autres potes, nous on se maquille.", "J'suis sûre que tes jeans c'est du 40."
- Dans les vestiaires : "regarde, elle a un gros fion et pas de seins.", "Putain mais crade, la gonz elle s'épile pas", "Hé ton père il t'a pas appris à pas te défendre, tu comptes aller chialer au prof ?". 
- Après une extinction de voix : "T'as une voix cheloue, elle était pas si grave avant, c'est à force de sucer des bites ?". 

     Je n'étais pas la cible unique de ces personnes, juste une fille parmi les autres à qui on a appris à ne pas s'énerver, à ne pas répondre à la bêtise par la bêtise. Je ne me souviens pas avoir répondu à ces gens, mais avoir tout encaissé. N'en parlant pas à mes parents, en train de se déchirer. 

     Je me suis endurcie. A force de mauvais moments, j'ai fini par tâtonner et par trouver une autre identité tant celle qui se trouvait lynchée par les autres me faisait désormais horreur. J'ai fini par faire comme eux, devenir une teigne, me plier aux nouvelles modes. J'ai été insultante envers des personnes qui ne le méritaient pas. Au lycée, j'ai refusé de me faire de nouveaux amis de peur de devoir à nouveau me cacher. Je l'ai mal vécu, très mal. J'ai fait des régimes pour faire disparaître les toutes petites formes qui naissaient sur mes hanches, j'ai écrit des messages anonymes à mes bourreaux du collège. Ceux-ci, non contents de lire mes tentatives de vengeance, s'en sont pris à mon petit frère. 
    J'ai déchargé la colère sur une personne qui ne le méritait pas, finissant par contribuer à son épisode dépressif. Puis je suis tombée de haut. Me suis excusée. J'ai essayé de réparer le mal que j'avais fait de toutes les manières, quitte à me confronter au groupe auquel j'adhérais depuis peu. Je suis donc redevenue "celle qui est pote avec les boloss". Et au fond, ce n'était pas plus mal. 

     Toujours est-il qu'après de longues années de bataille, j'avais enfin pu trouver une identité qui me corresponde. J'avais enfin, depuis quelques temps, l'impression d'être moi même, entourée d'adultes. Grossière erreur, il faut croire que les comportements de camarades de promo réveillent en moi de mauvais souvenirs. 

     J'ai du mal à utiliser le mot "harcèlement", parce que j'ai bien conscience de ne pas être dans les plus à plaindre. Mais ce que les autres ne savent pas, c'est que des années de bataille contre les moqueries incessantes des personnes de mon entourage ont laissé des traces. 

     La semaine dernière j'entend, à la suite d'un tout petit souci interne à ma promotion : "Non mais pour qui elle se prend.". Je comprends (parce qu'un ami me l'explique) que c'est moi que l'on met au coeur du problème. Je m'étonne, n'ayant rein provoqué, d'être prise pour responsable d'un souci qui du reste, pour moi, n'en est pas un. Je n'en parle pas, je tâtonne, essaie de comprendre, de parler avec quelques un.e.s. Puis je finis par sentir le malaise que je provoque quand j'arrive dans le petit groupe. 
     Impression de solitude totale, peur que ça "recommence", je passe devant les camarades sans leur dire bonjour, j'ai peur qu'on m'agresse. Ce n'est pas excessif, c'est comme ça. Je suis comme ça.  La moindre remarque fait sauter mon coeur dans ma poitrine avant même que mon cerveau ne se rende compte qu'il s'agissait d'un rien. Je culpabilise et me monte la tête au moindre souci. J'ai l'impression de tout faire de travers, je perds mes mots, je bégaie. 
En une semaine : "Cette meuf c'est une suceuse", "Camille, elle fait la gentille avec tout le monde mais faut s'en méfier", "J'la pensais pas comme ça.". "J'sais pas ce qu'elle veut, peut être attirer l'attention.". "Je la trouvais sympa, mais là ...". 

     Est ce qu'ils sont conscients de ce que cela peut avoir comme conséquences ? Absolument pas. Ils ne pensent pas faire de mal. Ils en font sans le vouloir. Ils n'imaginent pas que, pour une personne dont l'amour propre a été heurté pendant des années, le terme de "suceuse" peut être d'une violence fracassante. Je ne suce personne, j'essaie d'être moi, de m'intégrer. J'suis pas gentille ou bienveillante avec les gens juste pour qu'ils m'aiment, je le fais parce que j'aime découvrir d'eux. J'peux pas croire que la personne X ou Y avec laquelle j'ai discuté dix minutes amicalement en soirée passe 10 minutes à me dégueuler dessus, à un mètre de mes amis. Les murs ont quelques oreilles, et des bouches pour rapporter les saloperies qu'ils entendent. 

     Je crois que les jeunes victimes de harcèlement, qu'importe leur âge et l'intensité de ce qu'ils subissent, gardent à vie un poids dans l'estomac. Ils se remettent sans-cesse en question, essaient de cacher leurs failles, n'accordent leur confiance que très rarement. Nous sommes des vases. 
    Un vase en bon état résistera aisément à une petite chute. Un vase fissuré cédera en morceaux au moindre petit choc. J'évite de mettre de petits chocs aux autres, peut-être qu'ils sont fissurés. J'essaie tant bien que mal de m'expliquer avec eux, en face à face, au moindre dysfonctionnement dans nos rapports. Pour ne pas avoir à en rapporter à quelqu'un d'autre. Je crois que c'est important ... 

     D'ailleurs, ce billet est totalement déstructuré, il ne suit pas de trame, j'écris comme ça vient. On m'a dit souvent, et encore répété ce matin : "Mais il ne faut pas que cela t'atteigne". C'est une connerie. On ne décide pas de ce qui nous atteint, ça nous atteint, c'est tout. A tel point que depuis quelques jours, pour en parler, j'utilise les termes des années collège. 

    Maintenant on dit "Bitcher", pour "parler dans le dos de", "se moquer de", "critiquer". Et dans "Bitcher", y'a "BITCH"... (J'sais pas pourquoi cela attire mon attention). Toujours est-il que, les sensations désagréables d'avant reviennent en flèche. L'angoisse qui m'empêche de parler aux gen.te.s de peur qu'iels me détestent devient lourde. Donc je me défoule sur les touches de mon clavier. ET ça va mieux. 

Commentaires

Posts les plus consultés de ce blog

A comme "Amour", A comme "Apprendre".

      Dans l'une de ses chansons, Lynda Lemay écrit :  "Les mots se bousculent dans ma tête, j'ai pas la formule qu'il faut.  Pas aujourd'hui, demain peut-être, j'trouverai le moyen de cracher le morceau.  En attendant je me réfugie dans un silence qui me ronge le cœur,  depuis que j'ai rencontré Marie..."      Je suis une jeune femme avec un passé amoureux illogique. Une homo longtemps refoulée, une adolescente qui consentait passivement à croire que le flamme qu'ils décrivaient tous et qu'ils appelaient Amour était une chimère. Longues ont été les années passées entre les bras de garçons - gentils la plupart du temps - desquels j'étais persuadée d'être amoureuse. Sans ne jamais franchement tressaillir sous la force de quoi que ça soit, accomplissant mécaniquement par mimétisme tout ce qu'il était logique de faire pour me fondre dans la masse. Je les aimais, je crois, mais n'en serai jamais sûre. Jamais d...

Carmen Vaz est un rêve d'enfant.

     J'ai envie de vous parler d'un rêve d'enfant qui me tient à coeur plus que n'importe quoi. Et si je vous en parle, c'est parce qu'un rêve d'enfant ne se réalise que si l'on s'en donne les moyens. J'ai longtemps essayé mais le chemin qui m'en sépare est plein de brume. Ecrire pour vous me redonnera l'envie de travailler, et d'y croire encore, j'espère.      Ce rêve est un livre, un roman imaginé quand j'étais au collège. Ça se passe sur un bateau, et mon héroïne est un personnage étrange. L'histoire est inventée de toutes pièces (quoi que...), tout se passe dans un espace-temps réel que je n'ai pas connu. Le défi majeur est celui de l'anachronisme. Vous auriez imaginé un trois mats et son équipage fendant les mers dans les années 1980 ?      Auriez-vous eu le courage de diriger des expéditions de commerce maritime à bord d'un navire d'un autre temps si votre père, tout juste décédé, vous avait ...

Désillusion universitaire.

     Quinze jours à peu près me séparent de la fin de cette année scolaire. Scolaire, pas tant que cela. Je peux me réjouir d'avoir pulvérisé mon record de litres de bière avalés en moins d'un an. D'ailleurs, j'ai presque fréquenté les bistros autant que les amphis. Cela ne fait pas de cette année quelque chose d'amusant, encore moins un bon souvenir. J'ai eu envie d'expliquer pourquoi en voyant se débattre beaucoup de mes camarades de promo pour lesquels cette deuxième année de licence a remis en question beaucoup de rêves et de projets.      J'avais pourtant adoré ma L1, j'en garde un super souvenir. Déjà parce que l'Histoire, ça me plaît, cette première année m'en a apporté la certitude. Cependant, je crois qu'on nous a un peu vendu du rêve pendant un an. Professeurs bienveillants et passionnés, ambiance globalement festive tout au long de l'année, entraide (parce que ma promo, du moins les gens que je fréquente sont plutôt gé...