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De l'histoire pour faire ma route. Comment et pourquoi ?

     " Vous vivez dans un monde dans lequel on vous demande de faire le choix le plus déterminant de votre vie à l'âge de quinze ans. Et ça, c'est moche. "
    
     C'est la manière dont une professeure d'histoire au collège nous avait dépeint le lycée. Nous avions ri, du haut de nos quinze ans. Ça serait Littéraire pour les uns, Scientifique pour les autres, Economie pour les plus polyvalents, Professionnel pour ceux qui ne voulaient pas fréquenter plus longtemps les bancs silencieux des classes de trente élèves. 
     
     A seize ans on vous pose souvent la grande question : "Tu veux faire quoi plus tard ?". Je ne savais pas. J'ai voulu être trapéziste de la mort dans un cirque, présentatrice télé, puis architecte, kinésithérapeute, orthophoniste, chirurgienne, médecin urgentiste, thanatopractrice, psychologue en milieu carcéral, policière dans la brigade de protection des mineurs ... Rien que ça.  Je disais souvent à ma mère : "Tout, sauf prof. Je ne serai jamais prof c'est une certitude.". Je pense qu'en disant cela j'étais l'allégorie du voilage de face. Depuis ma plus tendre enfance, je m'imaginais secrètement devant une classe puis écrivain à mes heures perdues. Je ne l'assumais pas, j'avais peur de décevoir.          J'étais une littéraire refoulée en classe de première S et je vomissais les maths autant que la physique, la géologie et la chimie. C'est à ce moment là que j'ai pété un plomb. Un soir, je lui ai dit : "Maman, j'arrête tout. Je reprends les cours en filière L l'an prochain. J'en peux plus.". Elle a répondu que pôle emploi c'était pas marrant et que je n'avais pas intérêt à sécher ne serais-ce qu'une heure de cours. Elle m'a proposé des cours particuliers de maths. Heureusement, un professeur d'histoire a fait que je puisse changer de filière en cours d'année, Papa et Maman n'étaient pas super contents. Qu'est ce qu'on fait avec un bac L ? Je me posais la même question. 
     Puis, finalement intégrée en première L, pendant un cours d'histoire j'eus une petite révélation de celles que j'appelle "petits miracles". Mon professeur, tout en délicatesse comme à son habitude, lance une blague sans finesse à propos de la Chine de Mao. Alors que toute ma classe partait dans un éclat de rire sérieux, j'étais la seule silencieuse, une petite voix soufflait dans ma tête : "C'est ça que j'veux faire.". J'eus du mal à suivre le reste du cours : j'étais fixée. Je serais professeure ou rien. Le petit gugusse rigolo et sympathique qui débitait son cours avec passion en face de moi venait de me renvoyer à mes fantasmes d'enfant, lorsque je pensais "Si j'étais prof, je ferais ça, puis ça, puis ça.". L'idée ne m'avait en réalité jamais quitté. 
     Ce monsieur a continué à me passionner jusqu'à la fin de ma terminale. J'ai hésité entre Lettres et Histoire. Ma professeure de littérature faisait pression pour m'envoyer en prépa littéraire, j'ai refusé et heureusement. Je n'en aurais pas été capable et cela ne m'inspirait rien de bon. J'ai finalement choisi Histoire parce que c'était évident : je ne savais faire que ça, ne voulais faire que ça. 

     Entrée à la fac, j'ai d'abord eu peur de ne pas m'en sortir. Les dimensions du campus, le nombre de professeurs, les CM, les TD, les U.E, les partiels. Tous ces grands mots me faisaient trembler. J'ai naïvement cru que mes cours ressembleraient à ceux du lycée. La fac ne correspond en rien à l'idée que je m'en étais faite et je ne sais toujours pas si j'en suis déçue ou pas. 
     Déjà, il m'a fallu oublier mon identité en cours, m'habituer à ce qu'on me vouvoie quand on me parle, réussir à ne pas trouver condescendants les professeurs qui ne nous demandent pas nos prénoms avant de nous interroger. (Cette histoire de prénom n'est toujours pas réglée, je trouve absolument réducteur d'appeler quiconque par son nom de famille. Je n'y vois pas une marque de respect mais un refus de nos individualités. Nous sommes des prénoms avant d'être des noms ? Non ?). En plus de cela, je ne m'attendais pas à devoir changer si vite de cap. Il fallait dire au-revoir au XXème siècle et accepter que l'histoire ne se résumait pas à la période et aux thèmes qui nous intéressent. Vous n'imaginez pas quelle fut ma tête quand j'ai suivi pour la première fois un cours d'histoire médiévale. 
     J'ai aimé ma première année de licence. Que ce soit dans mon parcours scolaire ou dans ma vie personnelle, j'ai pu répondre à beaucoup de questions. Trois de mes professeurs m'ont impressionné par leur savoir. C'est là que j'ai vu qu'il y avait un fossé énorme entre nos professeurs de lycée et les universitaires. J'ai été très vite convaincue que ceux qui faisaient cours du bas de l'amphi étaient heureux de pouvoir enseigner sans qu'on ne leur impose un programme à des étudiants qui ont choisi et prennent plaisir à être assis en face d'eux. En écoutant l'une de mes professeures de fac faire cours, pour la deuxième fois la petite voix est revenue : "Mais c'est ça que j'veux faire.". 
     A l'inverse, j'ai été agacée par d'autres professeurs que j'ai trouvé au sommet de la condescendance. Je ne pensais pas qu'avoir un CV de sept pages et avoir écrit des livres historiques, des thèses et des articles pouvait rendre les gens élitistes et prétentieux à ce point. J'espère ne pas devenir comme ça si j'ai la chance de pouvoir suivre un parcours similaire. On ne naît pas con, j'espère que ce ne sont pas les études qui les transforment en robot-livres parlants, sinon je laisse tomber de suite. Du reste, j'espère que ceux-ci ne réussiront pas à m’écœurer de ces études qui, pour l'instant, me fascinent. D'autres mots que "partiels et Cie" me font déjà peur : master, mémoire, agrégation, soutenance ... Alors que je n'ai à mon actif qu'un bac +1. C'est un peu comme monter un mur d'escalade sans assurage mais vouloir quand même atteindre le haut malgré la peur de chuter. 

     Il n'y rien d'autre dont je suis sure : Je veux écrire et enseigner. L'un sans l'autre ne me conviendrait pas, l'un ne va pas sans l'autre. Ce sont peut être mes tout juste 20 ans et mon manque de maturité qui font cet effet mais mes rêves prennent le dessus facilement sur ma raison. Déjà parce que je n'ai jamais vraiment eu d'autres rêves que ceux là (à part peut être aller en Birmanie mais c'est une question de thunes ça.). Psychologiquement il y a peut être aussi un besoin de reconnaissance puisque faire un métier si je ne peux pas m'en servir pour influer positivement sur la vie de quelques personnes me paraîtrait vain. J'ai réellement envie de sentir que mes futurs cours donnent à des jeunes l'envie d'apprendre. Si mes professeurs de la primaire à la fac ne m'avaient pas fascinés, je n'aurais jamais su pourquoi je voulais vivre. Peut-être aurais-je voulu vivre pour autre chose mais cela aurait été moins bien, moins utile. 

     Je n'appelle pas ça de l'ambition. C'est trop ambitieux d'être ambitieux. J'appelle ça de la volonté. Très peu de personnes dans mon entourage comprennent ce choix. Chez moi on appelle la fac "usine à chômeurs" et on me dit souvent que j'aurais du choisir un "vrai métier" qu'ils voient dans le commerce où dans un bureau. C'est à croire qu'ils trouvent palpitant d'être assis dans un bureau toute la journée pour envoyer des mails. Peut être qu'ils pensent encore que vendre de la merde à des gens dans l'unique but de s'enrichir au détriment de l'honnêteté c'est chouette aussi. Je n'ai pas envie de ça. La plus jolie chose qui se soit mise en travers de mon chemin, c'est l'instruction. Je ne vois pas comment j'aurais pu faire autrement que d'instruire à mon tour. 
     Je n'ai pas besoin qu'on me remercie, mais d'avoir le sentiment d'avoir donné un coup de main utile, de voir des jeunes progresser pleurer de joie lorsqu'ils verront leurs noms sur des bouquins. Mais j'ai toujours voulu grandir trop vite. Avant cela, il faudrait peut être déjà que je me donne moi même les moyens d'avoir mon nom sur un livre. On ne peut apprendre ce qu'on ne sait pas. 

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