Elles sont douces, leurs bras sont confortables et sécurisants, elles ont toutes ce parfum qui les caractérise : les miennes portaient Loulou de chez Cacharel pour l'une, Anaïs Anaïs du même créateur pour l'autre. Ce sont des Mamans sans les inconvénients. Elles nous aiment, dieu qu'elles nous aiment. Elles nous embrassent, nous enserrent, nous murmurent de douces chansons aux oreilles. Qu'elles soient encore de ce monde où pas, elles font partie de celles que l'on n'oublie pas. C'est en cela que j'ai envie de vous en parler, au moins de mes grands mères à moi.
Chez certains on les appelle Mamie, on trouve aussi Mémé, ou Mamé dans le sud, Nona chez les italiens, Nana ou Lala chez les espagnols. Mais chez nous, on dit Mémère.
Mémère Josette.
Le surnom est absent, mais le prénom est rigolo. Tout comme elle l'était d'ailleurs. Au village tout le monde l'appelait Le Clown et ils avaient raison. Je ne me souviens pas l'avoir vue pleurer souvent. En revanche, je me souviens d'une avalanche de détails peu importants qui la caractérisaient. Déjà elle était grande, peu élégante dans sa démarche, brute de décoffrage en quelque sorte. Son rire étais assez disgracieux mais communicatif, c'est ainsi que quand elle se mettait à rigoler, toute la tablée partait avec elle. Vous pourrez demander à n'importe qui l'aurait connu à n'importe quel moment, ils répondront tous : elle rigolait tout le temps.
Elle avait deux enfants et six petits enfants : quatre de ma tante, deux de mon père. Rien que cela ! Nous nous appelons Camille, Adrien, Coraline, Lucéanne, Evan et Tom. C'est à cause de cela que ma grand mère nous inventait sans arrêt des prénoms en se trompant puis en tentant de se rattraper. Ça donnait Coramille, Lucévan, Adritom ... Et que sais-je encore. Ça me faisait beaucoup rire. Elle qui arrivait à nous raconter en détails son enfance, ses souvenirs intacts, était incapable d'appeler la bonne personne par le bon prénom. Nous n'avons jamais su pourquoi. Elle n'avait aucun problème de mémoire ou de vision mais elle éprouvait des difficultés. La manière dont elle s'en excusait avec honte et culpabilité était amusante aussi quand elle disait à ma tante : "Mais quelle idée qu't'as eu de l'appeler Lucéanne aussi".
Elle avait eu un chien dans ma petite enfance. Castagne, une saloperie de caniche qui me mordait dès qu'il en avait l'occasion. Chaque mois depuis sa mort, elle avait acheté une petite figurine de caniche puis avait entamé une collection. Mon grand père en achète encore et les place dans la vitrine. C'est sa manière à lui de la faire vivre encore.
Il y avait, avec ma grand mère paternelle, comme quelque chose de sensoriel. Ses mains étaient très douces, sa peau toujours très chaude et son odeur toujours identique. Elle était absolument obsédée par sa coupe de cheveux et allait chez le coiffeur souvent pour que ses mèches soient toujours intactes. J'aurais pu la reconnaître les yeux bandés à la douceur de ses mains mais aussi au bruit de sa respiration, à la manière dont elle chantonnait à longueur de journée. Il n'était pas rare d'entrer dans la maison (nous ne frappions jamais, c'était une tradition) et de l'entendre chanter : "Etoile des neiges, mon coeur amoureux s'est pris au piège de tes grands yeux ...". C'était sa chanson. Je me demande même si cette manie de chanter constamment n'était pas une parade à sa solitude puisque mon grand père, bien qu'il l'aimait de tout son coeur, s'enfermait depuis de nombreuses années dans un mutisme désagréable (il est désagréable tout court d'ailleurs.).
Ce n'était pas une folle du ménage, le repassage pouvait attendre et la poussière aussi. En revanche, gare à celui qui aurait osé posé la main sur les carreaux ou les rideaux ! Sacrilège. Il y avait d'ailleurs sur la fenêtre une peinture autocollante confectionnée par moi quand j'avais cinq ans, elle y est encore. Ma grand mère nous aurait tout donné. D'ailleurs, lorsque mon grand père daignait lui donner plus d'argent qu'elle n'en avait besoin pour aller au loto, il n'était pas rare de la voir glisser quelques pièces dans nos poches en prévision du retour à la maison qui nous ferait passer devant la boulangerie. Lorsqu'elle cuisinait pour nous, (une pro du hachis parmentier et des boulettes à la tomate), nous avions ce rituel d'ouvrir la grande armoire à la fin du repas pour y prendre un chocolat que nous choisissions entre la boîte à pharmacie et les verres à whisky du grand père.
Elle me manque vous savez. Elle s'est éteinte brutalement en janvier l'année dernière sans que je n'ai pu prendre le temps de lui dire au-revoir correctement. Nous ne nous y attendions pas du tout. Elle qui, du haut de ses soixante sept ans nous a appelé trois jours avant de mourir en nous disant : "Oui bah le médecin vient de passer, c'est le cancer que j'ai. C'est pas grave ça se soigne." mais qui a quand même fait un AVC le lendemain de ce coup de téléphone. Elle le savait j'en suis sûre, en décembre elle nous avait dit : "Cette année, c'est un noël exceptionnel". Je suis sûre qu'elle savait que c'était le dernier, sans même savoir qu'elle était malade. Mais comment vouliez vous qu'on s'en rende compte ? Elle qui, même les derniers jours, racontait des bêtises pour amuser la galerie, des blagues qui ne faisaient rire qu'elle. D'ailleurs c'est tout ce que mon père, son fils, a trouvé à lui dire penché sur son lit de mort : "Elle était pas drôle ta dernière blague Maman".
"Mémère D'amour." ou "Mounette", "La Zouk" ...etc. (Georgette qu'elle s'appelle.)
Ma grand mère maternelle, c'est assez différent. C'est un peu elle qui m'a élevé le midi et après l'école quand ma mère s'est mise à retravailler. C'est différent également parce que même si elle aussi vient du village de ma naissance, elle ne ressemble en rien à sa grande copine d'enfance (mon autre grand mère dont je vous ai parlé ci dessus). Mémère d'Amour est une femme si discrète et timide que dire bonjour à la caissière chez Liddl est presque une épreuve pour elle. Elle a vécu toute sa vie dans le silence, entourée de tas de personnes qui se souviennent d'elle pour sa gentillesse, son sourire timide et sa grande sensibilité. Elle a trois enfants et trois petits enfants : Deux de ma mère, un de mon plus vieil oncle. Nous nous appelons Camille, Adrien et Esteban.
Elle, ne se trompe pas dans nos prénoms. Elle nous chérit avec tant d'amour depuis que nous sommes enfant que nous peinons souvent à parler d'elle. Au village, c'est : "La dame qui vient de la famille Vasseur qui habitait Au Brésil (qui est un quartier de mon village)" mais c'est surtout : "Celle qui était mariée avec l'Espagnol de Vrigne" souvent suivi d'un : "Parait qu'il habite dans le sud maintenant, ou qu'il est retourné en Espagne". Nous ne parlerons pas de mon grand père ici tant il a fait de mal. Mais il dit souvent : "J'ai choisi ta grand mère en arrivant à Vrigne parce que c'était la plus belle femme que je n'avais jamais vu".
Elle était effectivement très belle quand elle était jeune. Elle faisait du football dans le club du village, avait de longs cheveux bruns très épais, était svelte, gentille, souriante, discrète et avait de grands yeux verts. Elle a pris de l'âge, quelques baffes envoyées par le temps et par la vie, mais elle est toujours très belle. Elle fêtera bientôt ses soixante sept ans elle aussi mais les gens la prennent souvent pour ma mère tant elle a gardé dans les yeux cette jeunesse. Sa garde robe ferait jalouser toutes les grands mères de France et je ne vous parle pas de sa collection de chaussures ! Son maquillage est toujours délicat, sa peau toujours bronzée par ses nombreux voyages. Son passage parfume me monde du fameux "Loulou" de chez Cacharel.
Elle me donne tout, elle me donne même trop. Elle est pour moi une deuxième mère dont je ne pourrai jamais me passer. C'est souvent elle qui je passe voir en premier le Week-End, et souvent elle la première que j'appelle quand j'ai une bonne nouvelle. Ses bras sont aussi rassurants que ceux de ma mère, elles se ressemblent tellement. Mon parrain nous dit souvent que toutes les trois nous ne formons qu'une seule et même personne. Je ne peux pas décrire cet amour et cette complicité tant c'est fort, et même si je le pouvais, c'est un bonheur égoïste que je veux garder pour moi seule. Je suis la première de ses petits enfants, et la seule fille. C'est déterminant de notre relation. Elle ne cesse de me répéter à quel point elle pleura de joie le 9 avril 1997 en me prenant dans ses bras. Je pense que depuis ce jour là, la vie ne veut pas que je les quitte, ses bras. Voyez vous, c'est dans ces bras là que j'ai pleuré quand mes parents se déchiraient, quand j'ai commencé à grandir, quand j'ai subi mon adolescence, quand j'ai perdu mon autre grand mère, vu mourir une copine ... Elle peut tout supporter, tout entendre et sécher absolument toutes mes larmes d'une simple caresse du revers de sa main sur ma joue.
Je tiens d'elle beaucoup de choses : déjà une hyperémotivité si forte qu'elle est handicapante dans ma vie quotidienne. Comme elle, je pleure à chaudes larmes et ris aux éclats pour un rien. Ça ne dure souvent que deux minutes mais je ne contrôle pas mes sentiments. Comme elle, j'ai peur des hommes (je n'ai jamais voulu connaître toute l'histoire qui l'a menée à quitter mon grand père au bout de 30 ans). Comme elle, j'aimerais être une femme forte.
Elle qui a eu le courage de s'en sortir en repassant un bac pro à 42 ans, qui a su élever ses enfants dans des moeurs correctes grâce à son seul amour pour eux, elle qui a eu le courage de refaire sa vie à 55 ans avec un homme exceptionnel (qui est mon grand père depuis 12 ans, plus que les deux autres). Elle qui malgré sa timidité légendaire a su accompagner des familles en deuil pendant des années au magasin de pompes funèbres.
Cette femme, c'est la générosité et l'amour à l'état pur. C'est brut, ça vous frappe fort. Je ne connais personne avec qui elle ne s'entend pas. Si elle n'existait pas, personne ne serait assez bon pour l'inventer. Je pense qu'elle est l'une des seules boules d'amour qu'il me reste aujourd'hui. Avec elle j'oublie tout. Parfois j'essaie de lui parler de ma vie d'adulte, de celle que je suis en train de construire. Même si elle n'est pas d'accord ou si elle ne comprend pas, elle acquiesce en souriant comme pour me dire "Je t'aime quand même" et elle ajoute : tu ressembles tellement à ta mère. Je n'en ai jamais douté, comme une mère aime sa fille et une fille aime sa mère, nous nous aimons toutes les trois pour ne former qu'une seule âme. Tout fusionne lorsque nous nous regardons.
Je vois ma famille vieillir, j'ai vu une grand mère partir, et je ne cesse de penser qu'un jour il me faudra lui dire au revoir, à elle aussi. La simple idée que je me fais de cette éventualité fatale me donne des frissons, une boule à l'estomac, me fait monter les larmes. Comme si c'était équivalent à perdre une mère. Mais ma mère est encore jeune, elle a le temps de vivre. Cette grand mère là ne peut pas disparaître et je ne suis pas assez mature pour envisager l'inverse. Tant qu'elle vivra, elle vivra avec moi dans sa vie, dans ses bras, près d'elle. Je l'aime incommensurablement.
Elles sont moi :
Voyez vous, elles sont nées dans le même village. Elles ont passé toute leur enfance et toute leur adolescence ensemble à faire les mêmes ballades, les mêmes bêtises, les mêmes projets. Lorsque Georgette déjà enceinte de ma mère, s'est mariée à cet espagnol, elle a quitté Vrigne-aux-Bois pour la région parisienne. Ce n'est que vingt deux ans plus tard qu'elle est revenue seule à ses sources natales pour s'occuper de son père (Donc mon arrière grand père Georges.).
Deux ans après, ma mère l'y a rejoint. Alors âgée de vingt deux ans, elle rencontra mon père au café du village. Quelle ne fut pas la surprise de ma grand mère maternelle quand elle apprit que, ce Mr Lecomte qui allait devenir son gendre n'était autre que le fils aîné de Josette, sa copine d'enfance. Elles se retrouvèrent, marièrent ensemble leurs enfants par pur hasard et ne se quittèrent plus. Elles allèrent toutes deux oublier le temps chaque vendredi soir dans un loto de village pendant des années entières. Elles virent grandir leurs enfants et les petits enfants qu'elles avaient en commun grâce à ce même hasard. Elles furent heureuses les deux fidèles copines d'enfance.
Heureuses jusqu'en janvier dernier où la vie décida qu'il était temps pour l'une des deux de dire au-revoir à l'autre.
Depuis ce jour, chaque mois, Georgette passe au cimetière pour dire à sa meilleure amie que nous allons bien. Que nous, leurs petits enfants, pensons bien à elle.
Et surtout, qu'elle aimerait mieux partager un verre avec elle plutôt qu'un bouquet...
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