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Entrer en féminisme, penser et agir autrement.

"Suis-je une fille, une adolescente, une jeune fille, une jeune femme, une femme ?" Peut-être juste une personne de sexe féminin mais avec tout ce que cela engendre. 

     J'aimerais vous parler de la manière dont un mot, à savoir "Féministe", est devenu en peu de temps un terme par lequel je me qualifie alors qu'il y a encore deux ans, je ne savais ni le définir, ni le comprendre et surtout pas l'accepter. Le féminisme regroupe une quantité astronomique de choses sur lesquelles je réfléchis depuis très longtemps. Mon premier déclic date de mes années collège lorsque j'ai appris que les femmes pouvaient voter depuis 1944. A cette époque je pensais que les femmes avaient toujours eu le droit de vote, et cela me paraissait évident. Et à la question "Pourquoi seulement en 1944 ?" je n'ai su répondre que par : "Parce que nous sommes des femmes.". Je me souviens avoir trouvé ça triste. Et j'ai pris conscience pour la première fois que le monde dans lequel nous vivons est bien plus hostile pour les femmes que pour les hommes.
Au lycée, je me sentais concernée par tout ce qui peut influer de près où de loin sur la vie d'une femme. Je prenais conscience cette fois-ci, en prenant de l'âge que les inégalités entre les hommes et les femmes n'étaient pas que politiques mais omniprésentes dans tous les domaines. Cela m'agaçait. Je n'arrivais pas à mettre de mots sur ce ressenti et le mot "féminisme" me semblait vague. Certaines personnes (qui se reconnaîtront si elles passent par ici ^^) m'ont dirigé sur des pistes qui me semblaient futiles, j'ai compris bien après de quoi il s'agissait en réalité. J'ai lu beaucoup de témoignages durant mes années Lycée, majoritairement des biographies et autobiographies de femmes issues du Moyen Orient, j'ai voulu comprendre quelle place elles occupaient dans leurs sociétés et n'y ai trouvé que des histoires de mariages forcés, d'excision, de jeunes filles battues ... Mais toujours pas de réponses à mes questions incessantes dont celles qui revenaient toujours : "Le féminisme, c'est quoi ? Suis-je féministe ? Suis-je une femme ?". 
     C'est en arrivant à la fac que tout ceci s'est éclairé, très rapidement, et efficacement. J'ai rencontré des filles bien différentes de celles que j'avais l'habitude de côtoyer, des garçons bien moins insistants dans leurs regards, et des personnes instruites qui m'ont passionnée. J'ai posé mes questions à l'une de mes professeures qui semblait avoir à la fois un tempérament féministe très prononcé et un esprit critique aiguisé. La réponse qu'elle m'a donné a été l'ultime déclic. je me permets donc de la citer ici : 

" Très simplement, le féminisme consiste dans l'idée d'égalité de principe entre hommes et femmes (du côté de la théorie) mais aussi d'égalité en actes et en pratiques, et c'est pour cela que les féministes, dont je fais partie, continuent à militer puisque cette égalité en actes est très loin d'être acquise. [...] Le simple fait donc de reconnaître ces rapports de pouvoir qui continuent à s'exercer, et de souhaiter qu'ils cessent, suffit à vous classer dans la catégorie des féministes. "
Caroline Muller.
     
     Donc, en une seconde, j'avais compris que j'étais féministe moi aussi, dans le fond. Mais pas dans la forme. Et j'ai lu, appris et surtout compris ce qui se cachait derrière le mot féministe dans ma vie de tous les jours. Parce que croyez moi, ça change une vie ! C'est là dessus que j'ai envie de m'attarder. D'où l'envie de dresser une liste de ce que j'ai pu comprendre et de ce que cela a changé dans ma manière d'agir et de réfléchir. 

J'ai compris que je n'était pas qu'un corps : 

     Avant le féminisme : c'était ma principale obsession. Ne pas m'habiller trop court où trop chic pour ne pas avoir à subir agressions verbales ou moqueries. Surveiller mon poids pour ne pas qu'on m'appelle "la grosse", pour réussir à sortir du vestiaire de gymnase en justaucorps et pour rester dans la même vague que mes deux copines à la taille mannequin. Surtout coller au modèle qu'on nous impose : me maquiller plus que ce qu'il n'en faut, m'épiler sans arrêt parce que les poils chez une femme "c'est dégueulasse", acheter une lingerie plus fine pour faire comme les copines et pour "ne pas avoir la honte avec mes slips petit bateau dans les vestiaires en sport". 
     Après le féminisme : J'ai compris que ce n'était pas à moi d'adapter mon corps et ce qui en découle pour entrer dans la bonne case mais plutôt à la société d'arrêter de vouloir nous mettre dans une case. Je ne suis pas qu'un corps, et je fais ce que j'en veux de ce corps. En un an, j'ai appris à ne plus faire attention au regard que les gens portent sur moi. 
Déjà, je ne me pèse plus ! L'important est d'être bien dans mon corps, de ne pas avoir de problèmes de santé et de ne pas me priver. J'ai appris à ne plus me détester, à me demander ce que MOI je trouvais beau et à me détacher de tout ce qui pouvait me faire croire que je n'étais "pas assez bien". Au revoir les émissions TV de mode, les magazines féminins, les régimes ! Bonjour acceptation. De la même manière, je ne me maquille plus autant et moins souvent, j'ai considérablement réduit la fréquence des épilations qui font mal et qui agressent la peau. Je fais du sport par plaisir et non par obligation, je me permets des tenues et des postures de toutes sortes. Après tout je n'ai à plaire à personne, si ce n'est à moi. 

J'ai compris qu'être une femme ne devait pas m’empêcher de croire en mes rêves :  

     Ma maman (directrice de marque et maîtresse de cérémonie dans le domaine du funéraire) me dit souvent que c'est difficile de faire "Un métier d'homme". Entre les regards indiscrets, les collègues machos qui ne supportent pas l'idée d'être dirigés par une femme et les commentaires auxquelles s'expose toute femme qui détient un poste à responsabilités, j'imagine le calvaire. Mais après réflexion féministe, je me suis rendue compte qu'il n'y avait pas de métiers d'hommes mais que des postes que l'on attribue pas aux femmes, parce que ce sont des femmes. Et le jour où j'ai entendu : "Ça doit être difficile comme métier, le funéraire. Surtout pour ta mère, les femmes sont sensibles à ce niveau là, elle doit souvent pleurer en voyant le malheur des gens ?", j'ai simplement répondu que face à la mort, maman était bien plus robuste que papa. Et il reste tellement de portes à ouvrir aux femmes que nous sommes ! Je me suis promise que jamais je ne laisserai la mention "sexe féminin" sur mon acte de naissance constituer une entrave à mon ascension sociale car je crois et j'ai envie de croire qu'à force de batailles, on y parviendra, à cette "égalité en pratiques". 

J'ai remis en cause ma vision de la féminité, du couple et de la sexualité : 

     Cette question a été la plus difficile à régler. Le plus étonnant, c'est que j'ai mis un temps fou à comprendre quelque chose qui me paraît maintenant évident : Entrer dans les codes de féminité et de sexualité est une possibilité mais en aucun cas une obligation. Après l'avoir assimilé, j'ai eu beaucoup de mal à le mettre en pratique puisque cela m'a mené à faire de nouveaux choix (changer ma façon d'agir) et, a suscité des réactions dans mon entourage qui n'ont pas toujours été positives. Je ne renie pas ma féminité pour autant, mais je ne la contrôle plus et ne la calque plus sur des modèles imposés. J'apprends à être moi et à agir selon mes envies et seulement celles desquelles je suis convaincue. Mon mec n'a pas bien réagi au début car je suis passée de "La copine de" à "Camille", j'ai cessé d'adopter les comportements d'amoureuse modèle qu'on peut voir dans les films, je n'ai plus laissé passer les remarques machistes de mon cher et tendre et arrêté de tenir compte de son avis en ce qui concerne mon corps et mes attitudes. Un an après le début de cette prise de conscience, monsieur a finalement accepté que je sois libre, indépendante et pleine de projets à réaliser en solo. Il a lui-même assimilé quelques rudiments de féminisme et fait beaucoup d'efforts. Puisque je suis une jeune femme avant d'être une amoureuse, et que le Moi passe avant le Nous, quoi qu'il arrive. Mais tout ceci n’empêche pas d'aimer et ça serait trop triste si c'était le cas. 
     J'ai appris à appréhender la question de la sexualité autrement. J'ai toujours pensé que les femmes pouvaient et devaient faire preuve d'une sexualité aussi libérée que celle des hommes, mais je suis descendue de ce petit nuage utopique en prenant conscience de l'impact que cette histoire d'inégalité sexuelle avait sur notre société. D'ailleurs, après un an de lectures féministes, je pense ne pas encore avoir fait le tour du problème. D'autre part, j'ai reconsidéré la sexualité dans le couple en me rendant compte qu'il n'y a aucune obligation dans ce domaine, j'approfondis encore la notion de consentement dans mes lectures. J'ai réussi à assimiler que l'amour et le sexe vont l'un sans l'autre aussi bien qu'ils vont ensemble et cela a balayé d'innombrables préjugés et idées fixes que je m'étais forgés avant le féminisme. 
     J'ai radicalement changé d'avis et de point de vue sur la prostitution et la pornographie. Même si je ne suis toujours pas à l'aise avec ces questions (certainement à cause de mon jeune âge), j'ai appris à nuancer ma pensée et me suis rendue compte à quel point la société nous dépeint un portrait dégueulasse de ces femmes qui travaillent grâce au sexe. Après tout, elles ne sont pour la plupart que des femmes qui font ce qu'elles veulent de leur corps. Je me suis interrogée : " Camille, qu'est ce qui te dérange là dedans". Et clairement s'est dessinée une réponse : Le voyeurisme et les fantasmes malsains que cela peut engendrer. Ce qui me révolte ne vient donc pas du comportement de ces femmes, mais bel et bien des conséquences que cela peut avoir sur les agissement des hommes et sur la manière dont ils se représentent la femme. 

J'ai appris à me défendre :

     J'ai appris à relever le moindre petit propos dégradant à l'égard des femmes et à le combattre à coup de morales. J'ai aussi compris que répondre aux débiles qui me sifflent dans la rue ne faisait que leur donner un peu plus d'importance. En clair, je ne me révolte plus uniquement dans ma tête, j'y mets du cœur à l'ouvrage et j'y prends goût. Même si parfois, j'aimerais ne pas me rendre compte et revenir quelques temps à l'époque où j'ignorais tout cela. C'était tellement plus simple et tellement moins sujet à tous les agacements qui suivent la prise de conscience. J'essaie de transmettre tant que je peux ce que j'ai appris, et ce que j'apprends encore du féminisme chaque jour. J'essaie de transcrire ça dans un langage d'enfant lorsque j'explique à mes petites gymnastes que personne ne doit leur dire ce qu'elles doivent être ou ne pas être. J'essaie aussi de créer des déclics chez les femmes de ma famille pour lesquelles le féminisme n'est absolument pas une priorité, encore moins une évidence. Je me bats chaque jour contre moi même pour me défaire des discours moralisateurs et dégradants au milieu desquels j'ai grandi. Ce n'est pas amusant pour moi d'être entrée si tard en féminisme, puisque cela implique de sortir de la norme et de faire face à l'incompréhension de mon entourage. Ils sont les conservateurs lorsque je tente d'être progressiste. 

     Mon entrée en féminisme est un peu comme une nage à contre courant. Ce qui est certain, c'est que la bataille en vaut la peine ne serais-ce que pour mon propre épanouissement et mon bonheur personnel. Puisque pour la première fois je crois dur comme fer en ce pour quoi je me bats et que je me sens légitime dans quelque chose. 

Suis-je une fille, une adolescente, une jeune fille, une jeune femme, une femme ?
    
    Et la réponse à la plus grande de mes interrogations se dessine peu à peu : C'est en devenant féministe que je deviens femme. Il fallait le féminisme pour fissurer la chrysalide d'incompréhension qui sépare la chenille du papillon. Sur ces belles paroles, je vous souhaite une bonne nuit. 


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