"Mettez vos mains sous la table s'il vous plaît. Reposez vos mains sur la table maintenant.".
C'est l'un des exercices étranges que nous avait demandé mon professeur de philosophie en classe de terminale. Je n'ai jamais compris ce qu'il cherchait à comprendre de nous mais il paraît que si les mains sont reposées à plat, cela signifie quelque chose. Si au contraire les paumes regardent l'une vers l'autre, cela veut dire autre chose. Du moins, c'est comme ça qu'il disait pouvoir cerner nos caractères, en observant nos gestes, nos positions, nos attitudes.
Cet épisode m'a particulièrement marqué, puisque je suis moi-même très observatrice et que la première chose que je regarde lorsque je rencontre quelqu'un, ce sont ses mains. je ne sais pas pourquoi cette partie du corps tend à me fasciner, mais j'ai toujours été comme ça. Je pense que vos mains peuvent m'apprendre beaucoup de choses sans que je n'ai à vous poser un million de questions.
Si ma curiosité me fait remarquer que vous portez les ongles longs à une main, courts à l'autre : Vous êtes guitariste. Si vos mains sont abîmées au niveau des zones osseuses de vos paumes : vous êtes gymnaste ou vous faites de la musculation plus de deux fois par semaine. Il se peut aussi que vos mains soient lisses, vos ongles parfaitement limés, vos bagues soigneusement choisies si vous avez le souci du détail. Bleus coupures et callosités, vous vous en servez trop car elles sont votre outil de travail. Une zone creusée à la seconde phalange de mon majeur a déjà fait remarquer à quelqu'un que j'écrivais beaucoup. Nous parlons tous plus ou moins avec nos mains, cela laisse entrevoir des tempéraments et des bribes de nos passés : la nervosité accélère nos mouvements et les décale de nos paroles. On relève chez la (ou l'ex) danseuse classique (qu'on reconnaît entre mille) une harmonie voix/mouvement totalement naturelle ainsi qu'un "port de bras" particulier et beaucoup de calme dans le mouvement de la main. A l'inverse, on voit beaucoup de rigidité chez les théâtreux qui, dans l'exagération constante de leurs mouvements et du ton de leur voix sur scène, ont tendance à monopoliser le paysage sonore tout en faisant de grands gestes sans même s'en rendre compte. Les disciplines artistiques et les métiers de scène se vivent avec les mains, vous n'avez qu'à regarder Piaf et Brel chanter, c'est fascinant.
La posture et l'attitude des personnes que je côtoie est l'une de mes plus grands sources d'interrogation. J'ai tendance à sourire quand je vois quelqu'un s'asseoir doucement sur le bord d'une chaise sans que son dos ne touche le dossier et dont les mains viennent se poser sur ses genoux, dans ma tête (sans vouloir me moquer bien entendu), j'ajoute une particule à son nom : "Maurice DE Tartempion". Cela peut donner une idée du milieu dans lequel la personne que j'observe a été élevée (je me moque des snobs, mais au fond je les aime bien :). ). Personnellement, j'ai plutôt tendance à mettre les coudes sur la table (Oh mais quel affront ! ^^). Il y a aussi ceux qui croisent les jambes contre ceux qui jouent la désinvolture et l'avachissement. Y a t'il une bonne manière de s'asseoir ? Cela reflète-t'il votre humeur ? Votre caractère ou votre degré de jm'enfoutisme ? Certaines de nos postures sont-elles volontaires ou inconsciemment calculées ? Servent-elle à nous mettre en scène ? Quelque part, Oui. J'ai envie de vous dire que lorsque quelqu'un qui m'intimide s'approche, je me tiens droite et tente d'avoir l'air plus distinguée que je ne le suis en réalité. A contrario, m'avachir sur une chaise vous montre que je me fous royalement de ce que vous me racontez. Une main sur la hanche et une jambe mi fléchie pour les petits moments où il faut jouer la séduction ... J'en passe.
Observer, c'est aussi ne pas avoir à poser de questions. Nos visages parlent pour nous et nos regards ainsi que nos sourires nous servent à exprimer ce qui est trop profond pour être dit.
Le regard est certainement ce qu'il y a de plus beau et de plus vrai chez l'humain. J'ai eu l'occasion de rencontrer une personne plus qu'observatrice qui m'a plusieurs fois prise à mon propre jeu. Je me suis rendue compte que je ne savais pas mentir, ni cacher ce que je ressentais, encore moins faire semblant de ne pas avoir peur. Je n'ai pas eu à ouvrir la bouche un seul instant, il y a des gens comme ça qui lisent dans vos yeux. J'ai appris qu'il suffisait d'y faire attention pour comprendre beaucoup de choses chez l'autre, mais aussi qu'il était intéressant de remarquer et d'analyser nos propres gestes pour nous comprendre nous mêmes.
Nous plissons les yeux en fronçant les sourcils quand nous ne comprenons pas, nous mentons en fixant surtout autre chose que les yeux de la personne que nous baratinons. Et si vous êtes comme moi, c'est à dire atteint d'une trop grosse fierté (c'est handicapant), ce ne sont pas vos mots, mais bel et bien vos yeux qui disent "Pardon" et "Merci pour tout". La reconnaissance étant le plus beau des regards, mais ce n'est qu'un avis personnel.
Si à ces regards vous ajoutez les sourires, vous comprenez encore plus de choses. Je disais que les yeux plissés relevaient de l'incompréhension, ajoutez y un sourire : c'est souvent du charme. Ce qu'il y a de bien avec les sourires, c'est que l'on voit tout de suite s'ils sont sincères ou forcés. J'aurais plus facilement tendance à aller vers les personnes qui, naturellement, sourirent et ont l'éclat de rire facile. Je pense qu'un sourire sincère que l'on adresse à quelqu'un est un cadeau qui ne coûte rien et qui ne peut que faire du bien à la personne qui le reçoit. Faites l'expérience : Le temps d'une journée, dans la rue ou au travail, souriez à chaque fois que vous croisez une nouvelle personnes. Les gens vous le rendront, vous aurez égayé leurs journées, ils auront rendu la vôtre meilleure. C'est un remède communicatif à la routine et à l'ennui. Il y a ceux qui savent le faire et ceux qui n'y pensent pas, mais tout le monde en est capable.
Je suis incapable de vous dire pourquoi j'attache tant d'importance aux regards et aux sourires mais je pense que capter la sensibilité de quelqu'un est toujours plus important que de le réduire à une suite d'événements constitutifs de sa vie.
Il y a autre chose, des gestes et des attitudes qui m'agacent. Certains trucs me mettent hors de moi et me font perdre toute tolérance. J'ai parfaitement conscience que mes propres comportements agacent les gens et cela fait poindre en moi des dizaines d'autres questions.
Par exemple, il y a ces personnes qui, pour montrer leur agacement, lèvent les yeux au ciel en soupirant. Je ne sais pas si je suis la seule à avoir envie de leur mettre des claques (et encore je suis gentille). Je trouve qu'il n'y a rien de plus indécent dans la mesure où en faisant ça, ils savent très bien qu'ils vont vexer leur interlocuteur. Le but est-il d'humilier ? De se sentir supérieur ? De se donner une contenance ? N'ont-ils pas assez de répartie pour répondre décemment à ce qui les agace ? Enfant, il m'était déjà arrivé de lever les yeux au ciel et mon interlocutrice à savoir ma mère m'avait hurlé "Arrête ça tout de suite ! C'est de l'irrespect". Avec du recul, je suis entièrement d'accord. Il y a certaines personnes auxquelles l'indécence ne va pas, et ces regards provocants sonnent tellement faux qu'ils en deviendraient presque comiques. (Je vais arrêter de m'énerver au risque de devenir méchante ^^).
Vivant moi-même avec des tics et des troubles obsessionnels du comportement (courants chez les gens souffrant d'anxiété et d'hyperémotivité), j'essaie de ne pas m'agacer de ceux des autres. Mais certains comportements, bien qu'incontrôlables, sont dérangeants. L'anxiété des autres me renvoie à la mienne. Me voilà donc frustrée d'être assise à côté de quelqu'un qui fait trembler sa jambe sous la table pendant de longues minutes, où d'être en face de quelqu'un qui fait claquer un "tagada tagada" sur une table avec ses ongles lorsqu'il attend, pareil pour ceux qui se tournent les pouces (au sens premier du terme). J'écris cela en souriant bêtement car je me rends compte à quel point je m'agace vite. Mais bon, il faut bien les laisser s'exprimer ces corps !
J'ai envie de terminer sur la question de nos sens, particulièrement du rapport au toucher, tout en sachant qu'il est différent chez tout le monde.
A chaque contact physique il y a réaction physique. On vous frappe : vous souffrez. On vous caresse : vous frissonnez. Le corps, les nerfs, la physiologie. Mais à tout contact physique, il y a une réaction psychologique, et celle ci est bien plus étrange. J'ai beaucoup de mal avec cette question. J'ai tenté d'analyser mes propres comportements en analysant ceux qui ont les mêmes que moi. En vain. Je ne peux toujours pas dire pourquoi j'ai tendance à reculer quand on m'approche ni ce qui me dérange dans le simple fait qu'un.e ami.e pose sa main sur mon épaule. Le corps exprime sans qu'on puisse le contrôler ce qui lui plaît et ce qui ne lui plaît pas. C'est à dire qu'une réaction de recul suite à un contact physique laisse entrevoir quelque chose de nous à l'auteur de ce contact. Laisser notre corps s'exprimer, donner une réponse, c'est montrer quelque chose de notre intériorité à quelqu'un qui, pourvu qu'il soit observateur, en déduira peut-être à juste titre une partie de ce que l'on renferme.
Et qui a le droit de savoir ? Qui a le droit d'entrer dans nos têtes en nous observant ? Est-ce malsain d'être si curieux ?
Je vous regarde, vous me regardez, je vous touche, vous me touchez, je recule, vous avancez. Nous pouvons nous connaître sans avoir besoin de nous parler.
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