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Immersion dans la licence en histoire, l'université.


     Salut ! Ce billet est à l'attention des lycéens qui se demandent, dans leur grand malheur, que faire de leur avenir. J'y ai pensé en me souvenant des discours entendus dans mon entourage lorsque j'ai dit vouloir aller à la fac, en première. Déjà que j'étais en Littéraire, demander à entrer à la fac a pas mal terrorisé mes parents et mes proches. "C'est une usine à chômeurs" disaient-ils. 
      
Je voulais être prof moi, je ne voyais pas l'intérêt d'aller me perdre en DUT, en BTS ou pire encore ... En prépa, malgré le forcing de ma prof de littérature. Ce n'était pas ce que je voulais faire. Pour la prépa, j'ai un peu regretté par la suite. Puis, YOLO, je n'aurais pas supporté cet univers, ce milieu pendant deux ans. Bien entendu, libre à tout le monde d'intégrer hypokhâgne, seulement si vous en avez envie et si vous supportez bien la pression professorale et sociale dans laquelle vous risquez de vous empierger.  Fort heureusement je crois, j'ai tout de suite trouvé la bonne formation. Et quelle ne fut pas ma surprise, en entrant en L1 d'histoire, de constater que la fac ne ressemblait absolument pas à ce qu'on m'en avait dit. 

     J'ai donc décidé de ne pas structurer ce billet, mais de reprendre les clichés entendus avant ma licence, et de les commenter un par un, pour essayer de rétablir la vérité et montrer que non ... L'université n'est pas une usine à chômeurs, encore moins un lieu perdu entre glandouille et soirées étudiantes. 

Cliché n°1 : "L'université ne demande que deux semaines de travail avant les partiels et les cours ne sont pas obligatoires." 

→  NOPE. L'université demande du travail, une organisation, une présence assidue en cours. Tout ce que vous risquez en ne travaillant pas, c'est de vous retrouver sur la paille au moment des partiels, avec un sujet de dissertation très large ou un texte non daté. La seule manière de produire quoi que ça soit de correct est de réussir à trouver le juste milieu entre vos cours et votre travail personnel. En soi, le ou la professeur(e) ne s'amusera jamais à faire l'appel dans un cours magistral, vous êtes 200 par amphis en L1. Mais essayez de pondre 6 pages sur "La France en 1515" sans ne jamais avoir mis un pied dans un cours de moderne ... BONCHANCE. 

→  Je crois qu'il est utile de préciser quelque chose qui peut sembler évident, mais c'est important. Pour faire une licence en histoire, il faut aimer lire. Je crois qu'il en est de même pour les autres filières d'ailleurs. En 3 ans, ma bibliothèque a triplé de volume. Vous êtes obligés de lire, tout le temps, des choses en rapport avec vos cours. Ce sont des articles, des livres, des manuels, des actualités ... Personnellement j'y consacre plusieurs heures par semaine et cela m'a beaucoup aidé à cerner des aspects non compris en cours, à approfondir mes propos dans mes copies. Je pense ne pas me tromper en affirmant aussi que c'est le seul moyen de maintenir sa culture générale à un niveau correct, ne serais-ce qu'en lisant les journaux. La lecture forge l'esprit critique et permet une approche plus sereine des cours associés. De plus, j'ai appris ces dernières années que peu importe les questions que l'on se pose, sur notre vie de tous les jours, sur nos névroses les plus secrètes ... La réponse est dans les livres. (Ce n'est pas une apologie de la lecture, c'est un constat me concernant, et mes ami.e.s de licence semblent en dire la même chose.). En L3, tout le monde lit, c'est une activité à part entière et indispensable si ce n'est à la vie, du moins à la réussite. 

Cliché n°2 : "L'université est une usine à chômeurs et les trois quarts des étudiants sont-là sans savoir pourquoi."

→  Oui, cela existe. Mais croyez en les expériences des étudiants fantômes autour de vous, ceux là passent rarement la première années. L'université trie. C'est comme ça. Tout le monde a la possibilité de redoubler (Je parle de ceux qui ont la chance et les moyens d'aller à l'université.). A l'échelle de ma promo, si l'on groupe les échecs, les étudiants qui ne sont jamais venus, les redoublements et les réorientations, on passe d'un amphi bondé en L1 (peut être 250 étudiants ?) à une promo d'une soixantaine de personnes en troisième année. 
Fort heureusement, se planter à l'université n'annonce pas la fin de vos études, encore moins le pointage à pôle emploi. Il est toujours possible de se réorienter, d'accéder à d'autres formations, de changer complètement de voie. Les choix sont multiples et tout le monde a le droit d'essayer - Pour combien de temps encore ??? - de suivre des cours à la fac. 

→  Alors en effet, avec une licence n histoire, Bac +3, on n'a pas de travail. Du moins pas de travail qui nous plaise. Mais les formations post-licence sont multiples et il existe des recours nombreux pour partir, changer de ville, de formation  ... Encore faut-il être motivé.e à passer des concours, je vous l'accorde. Mais les juristes, les médecins, les professeur.e.s, les professeur.e.s des écoles, les avocats, les notaires, les conservateurs de musée, les historiens, sociologues, anthropologues, archéologues ... et j'en passe sortent tous de l'université. Ce sont autant de voies ouvertes à ceux qui veulent - et surtout ceux qui peuvent - s'engager dans des études longues. Quand on arrive en troisième année, dans la grande majorité des cas, on sait ce qu'on veut faire et on sait combien de temps il nous reste à tirer. 

Cliché n°3 : "Les profs sont des chercheurs, ils ne vous connaissent pas, n'en ont rien à faire de votre réussite. Vous êtes livrés à vous-même"

→ ARCHI-FAUX. Vous tomberez forcément sur des professeur.e.s qui n'ont aucun goût à exercer leur métier. A la fac, ou pas. Il en existe dans toutes les structures d'enseignement, de la maternelle aux études supérieures. Selon les formations, les promotions sont plus ou moins grosses et vous ne pouvez pas demander à un.e enseignant.e de mémoriser 300 visages et les 300 patronymes qui y sont associés. (Quoique, certain.e.s le font.). En effet, ce sont des universitaires qui mènent divers travaux de recherche à côté de leur enseignement, cela ne veut pas dire qu'ils se fichent de la réussite de leurs étudiant.e.s. 
→ Au contraire, en trois ans, j'ai eu des profs qui m'ont beaucoup apporté intellectuellement. La plupart d'entre elleux aiment leur métier et sont tout aussi pédagogues que vos professeurs de lycée. Les con.ne.s ne sont pas en majorité, et heureusement. Iels sont souvent convaincus de l'utilité de leur enseignement et de fait, prennent plaisir à le faire. Certain.e.s, au bout de trois ans, vous connaissent. Ils savent pour la plupart comment vous vous appelez, ils répondent quasi-immédiatement aux dizaines de mails qu'ils reçoivent. 
→ Le rapport d'adulte à adulte des profs aux élèves à la fac est bien différent de celui qu'on connaît au lycée. Et cela est humainement intéressant. Pour la plupart de mes amis étudiants, moi comprise, nos projets professionnels et nos futurs projets de recherche ont été largement influencés par les thématiques fétiches de tel ou telle prof qui nous a passionné par ses cours à un moment donné. 
→  Un.e étudiant.e qui bosse est un.e étudiant.e qui suscite de l'intérêt et à qui le corps professoral a envie de donner les bonnes clés et les bons filons (conseils de lecture, approfondissements ...). Sinon, il n'y a aucun intérêt à enseigner. Faire le plus beau métier du monde par dépit devrait être interdit. 

Cliché n°4 : "Ouais à la fac c'est trop bien, on est libres comme l'air, on n'a plus les parents sur le dos, et y'a les soirées étudiantes". 

→ BULLSHIT. Si ça se passe comme cela pour certains, tant mieux pour eux. Mais encore une fois, après constat ... Les cas sont rares. Ceux qui vivent parfaitement bien l'arrivée à l'université sont souvent ceux qui peuvent rester chez leurs parents, à proximité. Quitter son univers familial et sa zone de confort peut s'avérer particulièrement violent. La découverte d'une ville inconnue, de nouvelles personnes, de nouvelles exigences ... Tout cela nécessite un temps d'adaptation plus ou moins long. Et il faut aussi rappeler qu'une grosse moitié des étudiants à la fac travaillent à côté, sans quoi ils ne pourraient pas subvenir à leurs besoins.
→ Donc, la vie étudiante n'est pas de tout repos. Un grand nombre de mes amis, surtout chez les cambrousards d'origine, ont déclaré les mêmes symptômes mentaux que moi : crise identitaire. Qui suis-je ? A quel monde j'appartient ? C'est du au fait de découvrir qu'il existe une multitude d'autres choses que nos campagnes dans lesquelles tout le monde se connaît. Un nouveau mode de vie va de paire avec de nouvelles opinions, de nouveaux combats, souvent drastiquement opposés à ceux que nos parents nous ont toujours fait mener. Il faut gérer le manque d'un "chez-soi" que l'on questionne sans-cesse, tout en en construisent un nouveau sur de nouvelles bases. Ce qui peut s'avérer moralement assommant.
→ Les soirées étudiantes c'est super chouette. Mais on apprend vite l'adage : "Qui sort le jeudi ne se lève pas le vendredi.". Et louper une matinée de cours par semaine peut vite s'avérer problématique car les TD sont obligatoires. A bout de trois absences, défaillance donc rattrapages. Ça a de quoi refroidir. Et il ne faut pas non plus négliger l'aspect financier. Une soirée étudiante, ça coûte quand même 15 euros en moyenne (si vous n'êtes pas des ivrognes et que vous savez où sont les bières pas chères). Autant vous dire qu'à 6 euros la pinte et à 8 euros le cocktail, on ne fait pas les fanfarons entre le 15 et le 30 du mois.

Cliché n°5 : "Les profs sont tous de gauche, les enseignements sont dirigés politiquement et les étudiants se font laver le cerveau."

→ WAIT ! Les profs ne sont pas tous des gauchistes affirmés, et pour ceux qui le sont, leurs enseignements ne sont pas automatiquement dirigés.
→ MAIS : En effet, je me suis "extrêmegauchisée" à la fac. Ce n'est pas de la faute de (ou grâce à) l'université. C'est juste que lorsque vous arrivez dans une ville dans laquelle les maisons de champagne et les juristes côtoient les SDF et les ouvriers à tous les coins de rue, y'a moyen que cela vous fasse cogiter sur vos convictions politiques encore fragiles. Surtout si vous êtes comme moi, issus d'un milieu social dans lequel le racisme et la "clodophobie" (oui j'invente des concepts) dominent largement l'essentiel des mentalités. Les villes bougent, manifestent, crient. Et lorsqu'on se penche vers les revendications et qu'on tente de comprendre d'où elles viennent, parfois, ça nous met en colère et nous politise. presque à notre insu.
→ Tout est politique dans une ville. Dans les milieux ruraux aussi, à la différence que personne ne vous le fait comprendre. Alors oui, permi mes amis étudiants, l'université a créé des féministes, des gens qui luttent contre la Xénophobie, la LGBTQphobie et le capitalisme. Beaucoup plus que dans mes cercles d'amis restés à la campagne. D'autres structures d'enseignement comme les prépas et les écoles de commerce ont "droitisé" mes potes, certains initialement de gauche. D'autres encore, que je compte parmi mes amis les plus chers, sont "en marche". Je me contente de leur demander "vers quoi ?" sans que cela ne soit sujet à conflits. Parce que l'université ouvre l'esprit critique et apprend à discuter malgré les divergences d'opinion.

Cliché n°6 : "Ah mais tu fais une licence en histoire ? T'apprends beaucoup de dates et de trucs par coeur ?" 

→ N.O.P.E !!! C'est pas parce que je fais des études en histoire que je suis spécialiste des civilisations Aztèque et Maya. Encore moins des règnes successifs des rois de France. Je crois être bien incapable de situer tel ou tel pape dans tel ou tel siècle sans me planter. Les études d'histoire, ce n'est pas ça.
→ Premier cours de moderne, une enseignante amusée demande à l'assemblée : "Si je vous dis 1515 vous me dites ?" et l'assemble répond en coeur : "MARIGNAN !". S'en suit un malaise quand elle rétorque : "Oui, d'accord, et c'est quoi Marignan ?" et que personne n'est capable de lui répondre. Les programmes d'histoire au collège et au lycée se contentent de balayer à grand coups de chronologie les grands événements de l'histoire, sans les expliquer. Sortie de ma terminale, je n'avais qu'une vague idée de ce qui s'était passé entre la Révolution Française et la Première Guerre mondiale. Je n'avais même pas une petite idée de ce qu'avait été le règne de François premier, encore moins des magistratures de l'Empire Romain.
→ Je n'apprends pas de listes de dates, du moins c'est secondaire je crois. L'essentiel est de réussir à saisir les concepts, les ruptures et les continuités dans des sociétés qui ne ressemblent en rien aux nôtres. Les dates et les événements sont là pour illustrer tout cela. On apprend une histoire sociale, économique, politique ... et j'en passe, ce qui rend les choses plus complexes que des listes de noms et de dates.
→ On va aussi vous faire comprendre que l'histoire contemporaine ne se résume pas aux deux Grandes Guerres. D'ailleurs, je n'ai plus entendu parler des Guerres Mondiales jusqu'en L3. En revanche, si vous avez envie d'en apprendre sur le 19ème siècle, les deux premières années feront votre bonheur. Histoire et histoire de l'art confondues, ce sont 5 cours différents, de quoi vous dégoûter ou vous passionner de la période. (Plaisanterie à part, les cours changent d'une année sur l'autre.)

Cliché n°7 : "Mais tu vas faire quoi plus tard ? Tu peux rein faire à part prof avec des études d'histoire."

→ Professeur.e, conservateur/trice de musées, fonction publique, historien.ne, artiste, écrivain.e ... etc. Avec un peu d'imagination on arrive à tout. Rien à ajouter :). 

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