Accéder au contenu principal

Lettre au moi de mes 14 ans.

A Reims, le 5 avril 2017. 

Bonsoir Camille. 


Tu es assise dans la salle n°30 du collège Louis Pasteur, passionnée par ce cours sur l'autobiographie et ta professeure te propose deux exercices. Elle vous demande à tes camarades et toi de rédiger un autoportrait physique et moral, je te vois réfléchir en vain sur cette chaise. Comme le petit Pépino dans les Choristes lorsque Gérard Jugnot lui demande d'écrire ce qu'il veut faire plus tard, tu regardes ta feuille sans ne rien y noter. Tu lèves les yeux au ciel. Mais qui es-tu ? Tu écris bêtement et l'exercice te met si mal à l'aise que tu ponds la rédaction la plus pourrie de la classe. Le deuxième exercice te semble plus intéressant. Il consiste simplement à patienter avec une idée en tête. Mme Soudoyer vous demande d'écrire, le jour de vos vingt ans, une lettre "Au vous de vos quatorze ans". Ensuite dit-elle, il vous faudra la comparer à cette rédaction. Et prendre conscience du changement. Ta professeure est bien curieuse de vous demander un autoportrait. Tu trouves qu'elle est un peu tarée de vous demander de rédiger un autre devoir dans six ans. L'idée ne te quittera jamais. 

J'ai vingt ans dans quatre jours, alors je m'exécute en bonne élève et ne rends pas ce devoir à la dernière minute. Cela tombe bien car aujourd'hui plus que jamais j'ai quelques petites choses à te dire. J'espère que cela t'aidera autant que ça me libère. 

Tu ne connais rien de toi, ce n'est pas grave, cela viendra plus tard. Tu sais, quand je repense à toi j'ai parfois mal au coeur, et je m'emplis de tendresse. Tu te détestes, tout semble te sauter au visage. Tes copines sont sympathiques, tu as des notes excellentes à l'école, tes parents t'encouragent à devenir une jeune fille comme les autres. Mais voilà le problème, tu te sens différente. Alors tu sais ma puce, tu n'en as pas fini avec ce sentiment. Tu préfères jouer un rôle tristement maîtrisé et ça te bouffe, je sais. 

Les autres filles de ton âge commencent à parler de choses que tu gardes loin de ton esprit. Elles parlent entre autres de leurs petits copains respectifs et toi, les garçons, tu les détestes. Du plus profond de ton être, tu t'interroges sur ces relations amoureuses qui leur font du mal. Tu te demandes pourquoi toi aussi, tu devrais te faire du mal pour leur ressembler. Tes copines, elles commencent à regarder des films pornographiques, à "coucher" dis-tu, à boire de l'alcool et à raconter à tout le monde comment cet alcool les a mené à "pécho un mec du lycée.". Tu les trouves dégueulasses. Ne rougis pas, ce sont tes termes, je ne fais que citer. Tu sais, toi aussi tu seras éperdument amoureuse un jour. La première fois bien tristement, secrètement et seule, ça va faire mal. Ça va faire mal et ça va durer longtemps, tu te sentiras encore plus différente, encore plus seule. Vers 16 ans tu te sentiras bien avec un garçon, ils ne sont pas tous pourris les garçons, la preuve j'aime encore celui là. 

Ton principal problème est ton corps. Ce corps ... Si seulement tu pouvais arrêter de le détester maintenant, ça nous éviterait des problèmes à toutes les deux. Mais ça va durer encore un moment. Tu ne supportes pas que l'on te regarde et encore moins que l'on te touche. Le problème ne vient pas des jolies formes que prennent tes hanches Camille, tu comprendras bien plus tard qu'il vient des autres, d'un truc qui s'appelle "société" dont tu commences seulement à comprendre le sens. Si tu savais qu'aujourd'hui je l'aime ce corps tu n'y croirais sans doute pas. Pourtant tu verras, il se passera des choses bien plus belles à voir que le spectacle de tes larmes devant ton miroir et l'idée qu'on te voie ou te touche sera un jour moins dégueulasse. Je ne te parlerai pas de ça, tu le découvriras en temps et en heure. Tes copines ne sont pas dégueulasses mais curieuses, pressées, elles vont à leur rythme. 

Toi tu veux grandir et tu vas grandir. Mais tu vas grandir trop vite et comprendre prématurément que la vie est une tartine de merde moins difficile à avaler si tu le fais en souriant. Tu confies à une copine avoir le besoin viscéral de parler. Mais elle ne comprend pas. D'ailleurs elles commencent à s'éloigner tes copines. Tu n'as pas d'histoires d'amour à leur raconter, tu n'aimes pas le rap, tu écoutes des trucs de vieux, tu ne veux pas aller avec elles à la piscine. T'es la reloue qui chiale à la gym parce que tu ne veux pas sortir du vestiaire en justaucorps, tu crapotes deux trois lattes de clope et tu tousse. Elle se marrent. Comme elles te paraissent normales ... Ça m'envoie une claque de te le dire si brutalement, mais qu'est-ce que t'es naïve ! T'es belle dans ton jean en 38. Et arrête de commencer à fumer s'teuplait parce que j'arrive plus à arrêter. T'es pleine de ressources et tu sais pourquoi tu veux vivre. T'as même écrit un livre dans ta tête quand tu te sentais seule, merci pour ce cadeau empoisonné d'ailleurs, six ans après j'y suis encore. Aujourd'hui je peux te le dire en face (ou presque), t'es pathétique. Tu te fais tellement de mal, t'es tellement seule, t'es tellement triste. Mais si t'es malheureuse Camille, c'est parce que tu n'assumes pas. Et comment tu pourrais assumer d'ailleurs ? Autour de toi tout le monde est si différent ... Je ne devrais pas t'engueuler. Pardon. Tu vas mal. 

Tu vas assumer. Parce que tu vas rencontrer une fée, une magicienne. Je ne devrais peut-être pas t'en parler mais il faut que tu saches. Les fées ont besoin de reconnaissance et veulent prendre soin des âmes un peu perdues. Elle va te brusquer, te forcer à parler, à lui expliquer. Enfin quelqu'un te posera les bonnes questions. Au début tu ne lui diras pas tout parce que c'est trop dur. Mais de fil en aiguille ma belle tu vas apprendre à te livrer en rires et en larmes à quelqu'un qui te forcera à trouver toi même les réponses à tes questions. Tu vas vouloir qu'elle s'envole très loin de toi à plusieurs reprises mais tu ne sauras pas voyager ailleurs que sous son aile, et tant mieux, même s'il y a un prix à payer. Je ne t'en dirai pas plus, je ne l'ai remerciée que très récemment parce que toi, t'avais pas le courage de le faire. Mais les fées sont précieuses et elles méritent qu'on les en remercie. 

Tu sais, c'est pas une tare d'être différente. Il faut que je te parle un peu de moi pour que tu comprennes. Alors voilà, je suis heureuse. Oui, enfin. Je n'ai pas vraiment changé en six ans pourtant. J'aime toujours écouter mes vieux trucs et j'écris toujours pour me libérer du peu de crasse qu'il reste. Je n'aime pas être moi mais j'aime plus que tout au monde avoir LE DROIT D'ÊTRE MOI. Tu auras le droit d'être toi je te le promets, tu ne me crois pas, mais c'est en bonne voie. 

Tu veux des preuves ? 
J'ai ouvert ce blog, je m'y livre sans honte. Ce n'est pas un journal intime puisque ce n'est pas intime ce que j'y raconte, bien au contraire, c'est ce que je veux que les gens retiennent de moi. Alors oui, certes tu me trouveras peut-être un peu lâche d'écrire ce que je ne peux pas encore crier et un peu trop égocentrique de parler de moi comme ça. Mais c'est libérateur d'enfin pouvoir être soi. Je ne suis pas si secrète que toi. Pourtant j'ai hésité à parler de moi ici mais, je me trouve, entre exercices de style et confidences libératrices. J'aimerais tellement que tu puisses déjà ressentir le bonheur immense que me procurent les retours positifs sur ces billets de blog. C'est jubilatoire et extrêmement touchant de recevoir des compliments sur ce que je produis. Les critiques, je les aime tout autant. Ça t'en bouche un coin hein ? 
J'arrive aussi à m'exprimer en public ailleurs que sur une scène de théâtre, je n'ai plus besoin de me cacher derrière un personnage pour être à l'aise. C'est quand même encore difficile et il ne faudrait pas que tu penses que tout se règle comme par magie. Paris ne s'est pas fait en un jour. Je suis quand même bien plus élancée, bien moins timide, et j'espère un peu moins invisible que toi. Je rougis encore comme une conne quand on me demande de me présenter mais ça va aller mieux, je te le jure. 

Oui, j'accepte peu à peu d'être quelqu'un et c'est un peu grâce à toi. Tu m'as donné une bonne leçon de moral avec tes conneries ! Je me jure souvent de ne plus jamais me poser les questions qui t'ont bouffé la vie. Parce que maintenant je suis lancée. Sur ce que je crois être la bonne voie puisque c'est celle que j'ai choisie après avoir tâtonné un bout de temps. 

Alors voilà ma puce, je vais arrêter de t'assommer. Sache que je suis extrêmement touchée par le journal intime de tes quinze ans et que cela me fait prendre conscience du chemin parcouru, je le relis chaque fois que je doute. Tu vas devenir cette femme dont tu rêves déjà de porter l'âge. Chaque chose en son temps. On n'est jamais parfaits, jamais des gens comme il faut, mais si tu t'acceptes les autres t'accepteront. C'est à toi de faire la démarche. Je t'aime autant que tu te détestes et tu me retournes le cerveau et le cœur avec tes questions. Je trouve les réponses pas à pas, et ça va mieux. Dors bien, souffle un bon coup, ne t'inquiètes pas. J'ai vingt ans dans quatre jours, et je suis heureuse. 

Tendrement, ton futur. 

Commentaires

  1. Oh la la quelle jolie texte et écrite. J'adore te lire c'est incroyable. Tu me fais rire à la fois et m'ouvres les yeux. Continues comme ça.
    Aujourd'hui tu as 20 ans et tu es heureuse. Je le suis ainsi de te savoir comme cela.
    Fiofio♡

    RépondreSupprimer

Enregistrer un commentaire

Posts les plus consultés de ce blog

A comme "Amour", A comme "Apprendre".

      Dans l'une de ses chansons, Lynda Lemay écrit :  "Les mots se bousculent dans ma tête, j'ai pas la formule qu'il faut.  Pas aujourd'hui, demain peut-être, j'trouverai le moyen de cracher le morceau.  En attendant je me réfugie dans un silence qui me ronge le cœur,  depuis que j'ai rencontré Marie..."      Je suis une jeune femme avec un passé amoureux illogique. Une homo longtemps refoulée, une adolescente qui consentait passivement à croire que le flamme qu'ils décrivaient tous et qu'ils appelaient Amour était une chimère. Longues ont été les années passées entre les bras de garçons - gentils la plupart du temps - desquels j'étais persuadée d'être amoureuse. Sans ne jamais franchement tressaillir sous la force de quoi que ça soit, accomplissant mécaniquement par mimétisme tout ce qu'il était logique de faire pour me fondre dans la masse. Je les aimais, je crois, mais n'en serai jamais sûre. Jamais d...

Carmen Vaz est un rêve d'enfant.

     J'ai envie de vous parler d'un rêve d'enfant qui me tient à coeur plus que n'importe quoi. Et si je vous en parle, c'est parce qu'un rêve d'enfant ne se réalise que si l'on s'en donne les moyens. J'ai longtemps essayé mais le chemin qui m'en sépare est plein de brume. Ecrire pour vous me redonnera l'envie de travailler, et d'y croire encore, j'espère.      Ce rêve est un livre, un roman imaginé quand j'étais au collège. Ça se passe sur un bateau, et mon héroïne est un personnage étrange. L'histoire est inventée de toutes pièces (quoi que...), tout se passe dans un espace-temps réel que je n'ai pas connu. Le défi majeur est celui de l'anachronisme. Vous auriez imaginé un trois mats et son équipage fendant les mers dans les années 1980 ?      Auriez-vous eu le courage de diriger des expéditions de commerce maritime à bord d'un navire d'un autre temps si votre père, tout juste décédé, vous avait ...

Désillusion universitaire.

     Quinze jours à peu près me séparent de la fin de cette année scolaire. Scolaire, pas tant que cela. Je peux me réjouir d'avoir pulvérisé mon record de litres de bière avalés en moins d'un an. D'ailleurs, j'ai presque fréquenté les bistros autant que les amphis. Cela ne fait pas de cette année quelque chose d'amusant, encore moins un bon souvenir. J'ai eu envie d'expliquer pourquoi en voyant se débattre beaucoup de mes camarades de promo pour lesquels cette deuxième année de licence a remis en question beaucoup de rêves et de projets.      J'avais pourtant adoré ma L1, j'en garde un super souvenir. Déjà parce que l'Histoire, ça me plaît, cette première année m'en a apporté la certitude. Cependant, je crois qu'on nous a un peu vendu du rêve pendant un an. Professeurs bienveillants et passionnés, ambiance globalement festive tout au long de l'année, entraide (parce que ma promo, du moins les gens que je fréquente sont plutôt gé...