Au premier regard, les gens ont du mal à l'aborder. Femme qui en impose, grande brune aux yeux verts, le visage fermé et souvent vêtue de noir. Cadre de pompes funèbres : elle a la gueule de l'emploi.
C'est un diamant brut, une force de caractère. Cet après-midi, elle a encore une fois tenu debout des heures, dans une église puis dans un cimetière. Devant ces 1500 personnes, elle n'a pas perdu la face et rendu un hommage dont on m'a dit qu'il était magnifique, à une femme exceptionnelle qu'elle connaissait bien. Encore une fois, elle n'avait pas le droit à l'erreur et si des larmes avaient du poindre, elle aurait du les retenir. Son métier c'est la mort chaque jour. Je le précise car quand on me parle d'elle on me dit souvent "Ah ! Ta maman c'est la dame des pompes funèbres ?!". Et ils me disent ça car ils ne voient en elle que le masque qui fait face au malheur des autres. Son métier c'est la mort, mais derrière ça, son cœur est une boule d'amour.
Ma mère, c'est la fille d'une femme exceptionnelle et d'un homme prisonnier d'ignorance. C'est un mélange de douceur refoulée et d'éternelle insatisfaction. La plupart des gens voient en elle une épaule sur laquelle se reposer, un pilier qui ne s'effondre jamais. Mais ce n'est pas comme ça que j'ai envie de vous en parler. Lorsque l'on regarde dans ses yeux, on peut y voir les mystères qu'elle renferme, faute d'une pudeur maladive qui rend le masque difficile à retirer.
Elle passe son temps à me dire que c'est dommage que je lui ressemble à ce point, physiquement ce n'est pas flagrant, mais nos psychologies sont en symbiose. Certes, je n'ai pas l'air aimable, on me trouve hautaine au premier abord et on me demande souvent pourquoi je suis un "bloc de marbre" qui ne laisse rien transparaître. Et je réponds toujours : "C'est un héritage maternel", en riant. En réalité, j'aime qu'on me dise cela. Je ne comprends pas pourquoi maman me dit que c'est dommage, j'en suis si fière moi. Je suis si heureuse d'avoir pris ma mère en exemple, d'avoir marché dans ses pas et d'avoir adopté les mêmes attitudes. Et si réellement je suis comme elle, c'est un honneur.
J'ai envie de lui dire beaucoup de choses ce soir, je ne le fais que trop rarement. J'ai envie de lui dire à quel point je suis heureuse et épanouie de l'éducation qu'elle a su me donner aux côtés de mon père. Politesse, respect, fierté, autodérision, amour, simplicité, entraide, compassion... L'école des valeurs c'est elle. En la voyant agir pour mon bien, être une épaule sur laquelle les gens peuvent pleurer, j'ai compris à quel point c'était une belle personne. En la voyant pleurer de peine ou de joie, j'ai su ce qu'il y avait à l'intérieur : Une mère, une femme, une sœur, une fille, une amoureuse, une amie et une confidente. C'est une explosion de sentiments, où plutôt une implosion (toujours cette pudeur). C'est quelqu'un qui n'a pas peur de la vie, elle a affronté beaucoup de choses et en affronte encore en se battant chaque jour contre elle même pour être quelqu'un d'encore meilleur.
Elle a autant d'amour à donner qu'elle doit et a besoin d'en recevoir. Il y a tellement de choses pour lesquelles je me dois de la remercier encore et encore : Les réprimandes et les leçons de morale qui ont su me forger, les crises de rires qui m'ont soulagées, les crises de larmes qu'on essaie de retenir lorsque survient quelque chose de triste aussi bien que celles qu'on laisse volontiers couler en souriant d'émotion. Deux sensibilités liées nous forgent et lorsque j'entends sa voix s'adoucir quand elle me réconforte, j'ai l'impression que tout est possible.
Il faut que je la remercie d'avoir toujours cru en moi, de n'avoir jamais douté de mes capacités alors que j'en doute moi même à cet instant. C'est une femme qui accepterait n'importe lequel de mes choix, même si ces choix allaient à l'encontre de ses convictions (ce qui est souvent le cas). C'est une personne qui peut tout entendre de ses enfants, et si l'un de nous deux (mon frère ou moi) vient à faire quelque chose de mal, le regard qui accompagne la réprimande nous fait comprendre que nous sommes déjà pardonnés. Elle vit pour nous, peut-être même un peu trop car elle s'oublie parfois trop. Antithèse de l'égoïsme, les autres passent avant elle, et c'est dommage puisqu'elle mérite tellement plus que ce qu'elle veut bien se donner.
Rien ne sonne jamais faux, quand elle rit : c'est aux éclats. Quand elle pleure : c'est à chaudes larmes. Quand elle ne dit rien, ses yeux vous disent tout. Elle n'y croit pas mais c'est une femme magnifique (objectivement, je ne suis pas la seule à le dire) qui sait encore s'embellir de jour en jour. Ce n'est pas une fashion victime, mais si vous la regardiez sourire, vous sauriez ce qu'elle dégage.
Certains de ses traits de caractère divergent des miens. Par exemple, elle est très humble et ne se met jamais en avant, elle a tendance à monter en ton et en gestes lorsque quelque chose vient perturber son rythme de vie. Elle est réglée comme une pendule, droite, perfectionniste et exigeante envers elle même. C'est un gros défaut : elle n'est jamais entièrement satisfaite de ce qu'elle
fait et pense qu'il en faut toujours plus. Si elle savait comme les gens se fichent de ces choses là ... Elle n'a pas besoin d'en faire plus, elle a déjà tout pour elle mais on ne peut pas lui en vouloir d'être une acharnée des choses bien faites : c'est aussi comme ça que l'on avance. Elle dirait elle même : "En se comparant à mieux et jamais à pire" parce qu'on "n'a que le bonheur qu'on mérite".
Alors il faut lui dire que si "on n'a que le bonheur qu'on mérite", ça devrait être elle la plus heureuse des femmes. Parce que du mérite elle en a, et au fond d'elle, elle sait pourquoi. C'est mon mentor, mon amie, ma confidente et la seule pour qui je soulèverais des montagnes de montagnes, et plus s'il le faut. Il faut qu'elle sache à quel point je suis fière d'elle, et surtout à quel point je suis fière d'être sa fille.
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