Cet article est une déclaration d'amour et une confidence ouverte à ma famille et à tous ceux qui ressentent des choses similaires, le fruit d'une réflexion forcée sur la place qu'occupe le rebelle dans une famille, l'histoire des reproches qu'on croit ne pas pouvoir faire, parce qu'il y en a ... Des reproches. Je vous demande, si vous me lisez, de ne juger que le fruit de ma réflexion et non la personne que je suis en général. Merci.
J'aurais voulu rester votre enfant modèle et j'aurais voulu que de bons résultats à l'école suffisent à faire de moi un peu de votre fierté. Mais aujourd'hui, alors que j'ai moi même fermé ma porte d'entrée, préparé mon repas, fait mon linge et laissé derrière moi ma journée de travail ; j'aimerais vous dire les séquelles qu'ont laissé vos mots sur mon indépendance, du moins sur la vie que je mène indépendamment de la vôtre. J'ai des messages à faire passer. J'ai longtemps pensé que je me devais de trouver un modèle et qu'on avait tous besoin de ressembler à quelqu'un, pourtant, aussi différents que vous soyez les uns des autres, je ne pense pas vous ressembler autrement que par mes traits physiques. J'aimerais que ça soit la cas, mais le souci est que s'il y a de l'amour dans les gènes, les discours prennent une toute autre tournure.
Il faudrait par exemple songer à te dire, Maman, que je te trouve aussi magnifique que tu te sens laide. J'aimerais pouvoir me regarder dans un miroir et nous trouver des airs de ressemblance, avoir ton charisme, ta prestance, tes yeux ... Mais il faut aussi que je te dise qu'à travers tes discours pleins de complexes, tu as forgé les miens et que ceux-ci m'empêchent à mon tour d'être épanouie. J'aurais voulu entendre d'autres choses, j'aurais voulu comprendre plus tôt que la beauté n'était pas synonyme du corps parfait et qu'avoir de la peau d'orange ici et là ne constituait pas une entrave à l'amour et à l'estime de soi. J'aurais aimé que tu ne t'excuses pas de m'avoir transmis ta morphologie, j'aurais voulu ne pas entendre cet horrible : "Tu es très belle, donc fais attention à ne pas devenir comme moi". Pourtant, ce n'est pas une tare mais une fierté, d'être comme toi. Et je suis fière de me battre chaque jour contre moi même, pour ne pas faire la même erreur, pour garder une image positive de ma personne toute entière. Fière d'avoir compris que je n'étais pas qu'un corps.
Papa, quand je te regarde je m'étonne encore de tout ce qu'on peut avoir en commun. Si tu savais comme j'aime notre maladresse, notre calme, notre complicité, notre air niais d'enfant apeuré quand on a fait une connerie. Mon papa n'est pas un super héros, il ne pue pas la fausse virilité, n'a pas de muscles ni de Tshirt de foot, encore moins des gants de boxe ou une grosse moto. C'est un super rêveur, un super penseur, un super incompris qui ne s'exprime pas. "Ne te plains pas, il y a des choses plus graves, ça va aller". Et donc j'ai suivi ce précepte, gardant pour moi seule tout ce qui pouvait me tracasser, pour au final apprendre à me renfermer sur moi même comme une huître dans laquelle il y aurait eu une perle déformée que j'aurais eu honte de montrer. Je suis fière de te ressembler, d'avoir le même débit de pensée que toi, de réussir à me forger des opinions cohérentes. Si j'avais seulement su l'importance de les exprimer avant qu'il ne soit trop tard et que des choses se soient passées sans que je n'ai eu le courage d'interagir avec. Je n'en peux plus de t'entendre dire : "Si javais su, j'aurais fait ça", pire encore, d'avoir peur qu'il soit trop tard pour moi aussi.
Il y a ce grand père, immigré espagnol, (et donc) franquiste, macho, misogyne, raciste et j'en passe, auquel j'ai envie de décrocher une gifle à chaque fois qu'il ouvre la bouche pour vomir son tapis de conneries. Lui qui m'a appris que tromper, humilier et rabaisser une femme était normal, qui clame sans cesse que s'il était français, il voterait Front National bien qu'il soit parfaitement contre le fait de se faire naturaliser. Lui qui n'a connu que la France et l'Espagne depuis sa naissance en 1952, qui clame haut et fort que les fonctionnaires et les gauchos font la perte de la France et que sous Franco, ils vivaient bien. Lui, le petit immigré devenu grand patron. Lui, le Dom Juan qui a collectionné les greluches. Lui, le sportif, le marathonien. Celui qui se prend pour la voix de la sagesse et qui pense que ses discours sont paroles d'apôtres. Mais aussi celui qui fait briller mes yeux quand il me dit à quel point il est fier de sa famille, celui qui passe des heures à cuisiner des paëlla traditionnelles pour 15 personnes, qui m'accueille à bras ouverts chaque été, qui n'a jamais laissé tomber ses convictions et qui nous a transmis son courage et sa hargne à défaut de nous avoir inculqué des valeurs acceptables. Et chaque été, je passe le portail de sa maison impatiente de le retrouver malgré tout, puisqu'il est unique et que je lui dois une certaine fougue, une certaine culture et un certain respect.
Je me dis souvent que mon oncle qui, à l'âge de 40 ans se permet de faire des vannes salasses à sa femme en plein repas de famille manque cruellement de respect. J'ai souvent pensé que tous les hommes avaient un service trois pièces à la place du cerveau, si je peux le dire ainsi. Lui, l'homme musclé, soigné, tatoué, virile à souhait est l'un de ceux qui me donne une image absolument mauvaise de la gente masculine. Pourtant, on ne peut pas imaginer un instant toute la gentillesse qui l'habite. C'est un homme bon, généreux et intelligent. Mais ce type de comportement m'a appris à refuser de voir en tout homme autre chose qu'un prédateur sexuel à l'affût, un misogyne humiliant tout ce qui porte les cheveux longs et du rose. Un homme reste un homme et c'est à cause de gens comme eux que je n'arrive plus à me défaire de cette image négative.
Puisque je vous parle de l'image que l'on m'a donné de l'homme, parlons de celle que j'ai eue de la femme. Puisque là, tout le monde s'accorde.
Vous, les femmes de cette délicate famille, vous êtes sublimes et dans l'air du temps, j'en conviens. Mais je viens vous dire qu'on peut AUSSI être belle sans maquillage, avec quelques kilos en trop, avec des poils et sans forcément avoir une prestation esthétique à 50 balles sur les ongles. Oui, une femme peut dire des gros mots, manger salement, sortir en jogging, s'enfiler un gros kebab dans l'estomac et travailler dans le bâtiment sans perdre son charme. Je ne vous remercie pas de m'avoir fait croire le contraire puisque j'ai joué un rôle tout au long de mon adolescence pour au final, finir heureuse à 19 ans dans les bras d'un garçon qui me préfère le matin au réveil que le soir en tenue de bal. Rassurez vous, les cheveux en bataille ont leur charme, les cernes aussi. Paradoxalement, vous m'avez appris à me méfier des hommes, à ne pas me laisser influencer et à rester maîtresse de mon corps et de mon esprit. Pour ça, merci. Après tout je vous aime beaucoup et vous doit beaucoup.
Tant d'autres discours ont bercé mon enfance de conneries et de stéréotypes que je ne saurais pas tout énumérer. Mais il est difficile de dire à ceux qu'on aime à quel point ils nous ont été néfastes, que ça soit inconsciemment où en tentant de nous protéger. Je suis une femme et c'est déjà un handicap. Mais au lieu d'avoir acquis les qualités que je défends de manière inconsciente et automatique, ma vie de jeune femme indépendante où d'adolescente attardée est un combat de tous les jours. Un combat contre moi même. Je dois tenter d'être tolérante face à des choses qui m'ont été présentées comme étant anormales où néfastes, je dois me défaire de vos modèles de perfection car essayer d'y parvenir serait me censurer et m'empêcher d'évoluer. Je dois aussi affronter vos regards, vos "T'es pas comme ça, tu ne devrais pas être comme ça, on ne t'a pas élevé comme ça".
Pour tout ça, je ne vous remercie pas, mais je vous aime. Et de ces deux affirmations, je ne sais pas laquelle a le plus de valeur.
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